La création 3D au Collège de France
Marie-Paule CANI, chercheur(1) en informatique graphique, est nommée professeure invitée sur la Chaire Informatique et sciences numériques - Une chaire créée en partenariat avec Inria
La création numérique 3D est aujourd'hui un domaine à part entière de la création artistique. Elle offre également un outil formidable aux chercheurs et ingénieurs de tous domaines, leur permettant de créer virtuellement leurs objets d'étude, d'exprimer leurs hypothèses sous forme visuelle, ou d'interagir avec un prototype pour le tester et l'améliorer avant même qu'il ne soit physiquement créé. Les applications sont déjà nombreuses en sciences, en médecine ou dans l'industrie (simulateurs médicaux-pédagogique pour former les chirurgiens, modèles virtuels pour l'industrie, …). Mais la grande majorité des logiciels, très pointus, ne sont aujourd'hui accessibles qu'aux seuls infographistes professionnels.
La révolution en marche de la création 3D
Les travaux de Marie-Paule Cani portent sur le développement d'outils informatiques permettant la création fluide et intuitive des contenus 3D2, qu'il s'agisse de formes isolées ou de mondes virtuels de plus en plus complexes dont les éléments ne peuvent plus être construits un à un par les infographistes. Elle ambitionne de mettre au point un nouveau média numérique avec cette question en forme de rêve et de défi : Ce média pourrait-il à terme devenir un outil aussi facile à utiliser qu'un crayon, mais encore plus expressif, pour créer et raffiner progressivement des objets 3D statiques ou animés ?
Un nouveau moyen d'expression en cours d'émergence
" L'ambition de nos travaux est de rendre la création de nouveaux contenus 3D, y compris des formes en mouvement, accessible au grand public ainsi qu'aux professionnels de tous domaines qui en sont actuellement exclus : Les scientifiques dans les domaines les plus divers (santé, biologie, mécanique, sciences de la terre…), mais aussi les historiens ou les archéologues, pourront exprimer leurs hypothèses, les simuler visuellement, interagir avec leurs objets d'étude ou explorer les mondes ainsi créés. Les ingénieurs pourront prototyper rapidement leurs modèles et les tester sous forme de maquettes numériques avant de les construire. La création et la simulation graphique dans la main de tous (via des tablettes permettant de dessiner, de manipuler simplement du contenu 3D et de le mettre en mouvement) constituerait une véritable révolution des méthodes de travail dans les domaines de l'ingénierie, du design et des sciences ".
Au Collège de France, Marie-Paule Cani présentera les avancées récentes en informatique graphique et fera partager sa vision de la révolution en marche dans le domaine de la création 3D. L'ensemble de son enseignement sera disponible sur le site de l'institution www.college-de-France.fr
Point de vue, par Marie-Paule CANI
" Il faut généraliser l'enseignement de l'informatique et y attirer les filles "
Marie Paule Cani a toujours mené en parallèle de ses recherches et de ses travaux scientifiques des activités d'enseignement (à l'Ecole Normale Supérieure, puis à l'Ensimag/Grenoble-INP). Elle estime que la réflexion sur la pédagogie et l'évolution de l'enseignement de l'informatique est un composant essentiel de son métier, d'autant plus indispensable qu'il s'agit d'un domaine en évolution permanente et rapide.
Généraliser l'enseignement de l'informatique
" Un enjeu très important pour la France, dans le monde d'aujourd'hui, est de généraliser l'enseignement de l'informatique. Je ne veux pas parler de l'utilisation des ordinateurs (la bureautique), mais de la science informatique, qui elle seule peut permettre aux français d'être des acteurs dans la création des médias de demain et de leurs contenus. Pour enseigner l'informatique, il faut des enseignants. La société informatique de France (SIF) s'est levée récemment pour que soit créée une agrégation de mathématiques. Elle n'a pas été entendue. Lorsqu'elle entre dans les programmes, l'informatique sera donc généralement enseignée par des spécialistes d'autres disciplines, parfois par obligation plus que par passion. De ce fait, certains enseignants pourraient apporter une vision de l'informatique limitée à ses usages - comme le calcul numérique en sciences, plutôt que de la présenter comme une science, assez proche des mathématiques, basée sur des principes de logique, de mécanisation du raisonnement, de structuration des connaissances, et qui permet d'innover ".
La mixité comme source d'inspiration / l'informatique ne doit pas être uniquement un métier d'homme
" Second point très important, l'informatique n'est pas un métier d'hommes, en tous cas, pas seulement! Je suis très attristée par la désaffection progressive des spécialisations dans ce domaine par les jeunes filles. La proportion d'étudiantes dans les cursus informatique a diminué de moitié en 20 ans (de 30 à moins de 15 % des élèves), et nous étions 50% de filles lorsque j'ai fait mes études. On a assisté à la création d'un stéréotype moderne, qui conduit les jeunes étudiantes à s'écarter de ce domaine scientifique passionnant, créateur d'emplois, et pour lequel on a un grand besoin de diversité ".
Mari Paule Cani s'est notamment engagée en ce sens en participant à l'Association pour la parité dans les métiers Scientifiques et Techniques. Le prix Irène Joliot-Curie du mentorat lui a été décerné en 2007 pour ses actions en faveur des femmes scientifiques.
À propos d'Inria
Créé en 1967, Inria est le seul institut public de recherche entièrement dédié aux sciences du numérique. A l'interface des sciences informatiques et des mathématiques, les 3400 chercheurs d'Inria inventent les technologies numériques de demain. Issus des plus grandes universités internationales, ils croisent, avec créativité, recherche fondamentale et recherche appliquée. Ils se consacrent à des problèmes concrets, collaborent avec les acteurs de la recherche publique et privée en France et à l'étranger, et transfèrent le fruit de leurs travaux vers les entreprises innovantes. Les chercheurs des équipes Inria publient environ 5000 articles chaque année. Ils sont à l'origine de plus de 120 start-ups.
Vers un nouveau média numérique permettant une création fluide et accessible de contenus 3D
" Pouvoir ébaucher des formes 3D en quelques gestes puis en imprimer des prototypes, ou encore créer et donner vie à un monde virtuel peuplé et animé, font partie des rêves de beaucoup d'entre nous.
L'informatique graphique joue un rôle particulier parmi les " technologies de l'image " : Elle permet de créer des contenus numériques sous forme d'objets géométriques 3D, éventuellement bougeant et se déformant au cours du temps, puis de les rendre visibles en prenant des sortes de photographies de ces objets mathématiques. Une image de synthèse est produite en sortie, ces images pouvant être jouées en séquence pour montrer un contenu animé.
Les applications vont du prototypage virtuel (design de maquettes numériques d'objets en cours de conception), à la production des films d'animation 3D et des effets spéciaux, en passant par la création de mondes virtuels temps réels pour les jeux vidéos et pour les simulateurs d'apprentissage (aussi appelés " real games "). Les scientifiques d'autres domaines les utilisent également pour exprimer leurs hypothèses en visualiser leurs objets d'étude.
Alors que la puissance de calcul des ordinateurs rend possible le stockage et le rendu de scènes très complexes (des millions d'éléments), la création des contenus devient un des véritables enjeux de ce domaine de recherche.
Trois grandes familles d'approches permettent actuellement de créer des contenus :
- La création interactive par des infographistes formés sur des logiciels complexes, qui est la méthode classique, mais ne permet pas le passage à l'échelle que demandent les applications d'aujourd'hui.
- La génération grâce à des programmes qui créent automatiquement les contenus (par exemple un arbre, une ville entière, ou un mouvement) à parti de règles exprimant des connaissances. Mais dans ce cas le contrôle de l'utilisateur est très limité.
- La capture, la reconstruction suivie éventuellement de la modification, d'objets du monde réel. Mais dans ce cas, la créativité se trouve bridée.
Alors que de nombreux scientifiques, en France et dans le monde, se sont tournés ces dernières années vers le dernier axe, c'est à dire vers la reconstruction d'objets ou de mouvements réels, plus facile à valider, mes recherches (et plus largement celles d'un vaste courant qui est en train de changer en profondeur notre domaine) consistent à développer une nouvelle génération de modèles de haut niveau et d'outils dédiés à la création de nouveaux contenus. Ces modèles et outils se situent à mi-chemin entre les deux premières méthodes, c'est-à-dire entre la création interactive et la génération automatique. Le défi scientifique à relever consistant à ne pas brider la créativité de l'utilisateur, tout en automatisant au maximum les tâches difficiles ou répétitives.
Nous incorporons le plus possible de connaissance dans les modèles pour que l'utilisateur puisse orchestrer rapidement, par des gestes intuitifs (de type dessin, modelage, mime, etc.), la génération de contenus complexes et plausibles. Pour cela, nous cherchons à automatiser le maintien des contraintes (géométriques, physiques, biologiques, etc - selon la nature du contenu) ainsi que la génération des détails répétitifs. Ainsi, l'utilisateur peut ébaucher ce qu'il souhaite en quelques gestes, puis le raffiner progressivement en venant modifier ce qu'il a sous les yeux. C'est ce que j'appelle dans mon cours " façonner l'imaginaire ".
Cette approche pose de nombreux défis : trouver des méthodologies pour exprimer et intégrer le bon degré de connaissance, trouver la bonne interaction utilisateur et savoir interpréter les entrées, concevoir des modèles temps-réel qui assurent la cohérence des résultats, qui soient capables de proposer un contenu modifiable, et auxquels on peut ajouter progressivement des détails.
L'objectif final est de mettre au point les éléments d'un nouveau média numérique permettant une création fluide de contenus 3D (qu'il s'agisse de formes statiques ou animées, simples ou complexes, représentant des objets naturels ou manufacturés), mais également l'agencement de ces objets en interaction au sein d'un monde virtuel.
L'ambition de nos travaux est de rendre ce nouveau média accessible à la fois au grand public (qui n'a pas les moyens, actuellement, de créer des formes 3D, encore moins lorsqu'il s'agit de formes animées), aux scientifiques et aux professionnels de tous domaines. Le grand public pourra concevoir des objets personnalisés puis les imprimer ou les fabriquer ; ou encore concevoir et explorer des mondes virtuels imaginaires. Les scientifiques dans les domaines les plus divers (santé, biologie, mécanique, sciences de la terre, … histoire, archéologie) pourront exprimer leurs hypothèses, les simuler visuellement et interagir avec leurs objets d'étude ou explorer les mondes ainsi créés. Les ingénieurs pourront prototyper rapidement leurs modèles, les tester et les manipuler sous forme de maquettes numériques avant de les construire.
La création graphique est un outil unique pour que nous puissions exprimer et renforcer une " vision " (une image mentale), la clarifier progressivement, y ajouter des détails, en assurer la cohérence si on le souhaite et la communiquer à d'autres. On dit souvent : " un petit dessin vaut mieux qu'un long discours " : la création 3D peut exprimer bien plus qu'un dessin !
Ainsi, le nouveau média évoqué peut être vu comme un nouveau moyen d'expression en cours d'émergence.
On assiste à un véritable engouement du grand public pour les techniques lui permettant de personnaliser son environnement virtuel ou physique par ses propres créations. La création 3D peut permettre de créer des objets qui seront plus tard imprimés ou fabriqués (lui donnant le pouvoir de matérialiser l'imaginaire !) et de concevoir des mondes virtuels avant de les explorer. Un exemple dans la sphère économique est la startup SkimLab dont le logiciel Jweel de création par le grand public de bijoux personnalisés s'appuie sur nos recherches. D'autres domaines sont très demandeurs (la mode, les accessoires, etc.).
Tout en répondant aux besoins du public, nous espérons que ces avancées permettront de généraliser encore plus et de faciliter l'usage de la simulation graphique dans les autres sciences et domaines industriels : les maquettes numériques y sont déjà indispensables mais dans bien des cas elles demandent d'avoir recours à des spécialistes d'un autres corps de métier pour les créer et les manipuler, comme c'est le cas, pour prendre un exemple, pour les recherches en géologie et en exploration pétrolière. Mettre la création et la simulation graphique dans la main de tous (via des tablettes permettant de dessiner et de manipuler simplement du contenu 3D et de le mettre en mouvement) constituerait une véritable révolution des méthodes de travail dans les domaines de l'ingénierie, du design et des sciences ".
Marie-Paule CANI
Façonner l'imaginaire : de la création numérique 3D aux mondes virtuels animés
Présentation du cycle d'enseignement de Marie-Paule Cani
Leçon inaugurale le 12 février 2015, à 18h00 - Cours les vendredis à 10h30
A travers son cycle d'enseignement, accessible à tous, des particuliers aux scientifiques et aux professionnels d'autres disciplines, Marie-Paule Cani entend faire partager sa vision de la révolution en marche dans le domaine de la création 3D. Elle y présentera une méthodologie générale pour la création de nouveaux contenus 3D ; méthodologie permettant un contrôle intuitif - presque gestuel - de ces contenus, grâce en particulier aux connaissances intégrées aux modèles. Les cours permettront aux participants de rêver à un homme augmenté non seulement par la possibilité de voir, mais aussi par celle de façonner l'imaginaire.
Dans un premier temps, Marie-Paule Cani et ses invités présenteront une nouvelle génération de représentations géométriques et d'outils dédiés à la création intuitive de formes 3D. Ils aborderont en particulier les surfaces implicites, la sculpture virtuelle, la modélisation par croquis, ainsi que la réutilisation et le transfert de modèles.
La seconde partie du cours sera dédiée à la création des mondes virtuels animés. Nous expliquons comment créer les éléments d'un paysage, comment animer efficacement les scènes naturelles, et comment peupler ces mondes virtuels d'humains ou de créatures animées.
Les principes de conception des méthodes seront approfondis, montrant l'importance des connaissances incorporées dans les modèles géométriques, mécaniques ou procéduraux utilisés, ainsi que l'alchimie créée par le couplage de ces modèles avec des métaphores d'interaction inspirées du monde réel, comme le dessin ou la sculpture.
Chaque cours sera suivi à 11h30 d'un séminaire au cours duquel un spécialiste donnera un éclairage sur une famille de solutions ou abordera un problème complémentaire.
Colloque (en Anglais) le 8 juin 2015 : Expressive Modelling: New Advances towards the Seamless Creation of 3D Content
Est-ce que le média numérique pourrait à terme devenir un outil aussi facile à utiliser qu'un crayon, mais encore plus expressif, pour créer et raffiner progressivement des objets 3D statiques ou animés ? Ce colloque international présentera les avancées scientifiques les plus récentes dans ce sens : il couvrira les nouveaux modèles, outils logiciels et méthodes d'interaction multimodales innovantes qui ont été développés pour la création fluide de formes numériques 3D et de leurs animations, et présentera de nouvelles avancées vers le prototypage numérique d'objets mécaniques fonctionnels destinés à être fabriqués.
L'ensemble de cet enseignement sera disponible en audio, vidéo et version anglaise sur le site du Collège de France
Biographie
Marie-Paule Cani est Professeure d'informatique à Grenoble-INP/Ensimag. Elle est responsable scientifique de l'équipe IMAGINE (Intuitive Modeling and Animation for Interactive Graphics and Narrative Environments), une équipe commune à l'Inria et au laboratoire Jean Kuntzmann (CNRS, université Grenoble-Alpes). Ancienne élève de l'École normale supérieure, elle est titulaire d'une thèse de doctorat de l'université Paris XI (1990) et d'un diplôme d'habilitation à diriger des recherches de l'INPG (1995). Membre junior de l'Institut universitaire de France en 1999, elle a reçu le titre d'Eurographics Fellow en 2005. Le prix Irène Joliot-Curie du mentorat lui a été décerné en 2007 pour ses actions en faveur des femmes scientifiques et a été élue membre de l'Academia Europaea en 2013.
Chercheur en informatique graphique, elle s'intéresse à la création de contenu numérique pour les mondes virtuels animés, ce qui l'a conduit à aborder la modélisation intuitive des formes 3D ainsi que leur animation interactive. Elle a contribué au fil des années au développement de modèles de haut niveau pour les formes - dont notamment les surfaces implicites -, à la mise au point de méthodes d'animation physique efficaces, souvent adaptatives ou multi-résolution, et au développement de représentations hybrides permettant de synthétiser des scènes naturelles animées en temps-réel. Son intérêt de longue date pour la sculpture virtuelle l'a récemment amenée à explorer des approches innovantes pour la création de contenus 3D, comme la combinaison d'interfaces par croquis et de modèles procéduraux exprimant des connaissances. Ses travaux récents développent le nouveau concept de responsive shapes, des modèles graphiques centrés sur l'utilisateur et conçus pour répondre de la manière attendue aux gestes de modélisation. Elle a reçu le Eurographics Outstanding Technical Contributions Award en 2011 pour ces travaux, ainsi qu'une Advanced Grant de l'European Research Council (ERC) et la médaille d'argent du CNRS en 2012.
Marie-Paule Cani a été membre des comités de programme des conférences majeures de son domaine et a régulièrement présidé des programmes ou co-organisé des conférences. Elle a été ou est membre des comités de pilotage des conférences SCA (Symposium on Computer Animation), SBIM (Sketch-based Interfaces and Modeling) et SMI (Shape Modeling International), ainsi que des comités éditoriaux de Graphical Models, IEEE Transactions on Visualization and Computer Graphics (TVCG), Computer Graphics Forum (CGF) et actuellement ACM Transactions on Graphics (TOG). Director at large au sein du comité exécutif d'ACM SIGGRAPH de 2007 à 2011, elle a représenté l'informatique graphique au sein du Publication Board de l'ACM de 2011 à 2014.
Active au sein de l'Association française d'informatique graphique (AFIG) depuis les années 1990, elle a participé à la création du chapitre français d'Eurographics en 2003, dont elle a été la première présidente. Elle est maintenant membre du comité de pilotage du GDR IG-RV (informatique géométrique et graphique, réalité virtuelle et visualisation) du CNRS et vice-présidente de l'association européenne Eurographics depuis janvier 2013.