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Ubisoft annonce qu'il va développer des jeux triple-A "gratuits" : L'éditeur français est-il devenu fou ou visionnaire ?

Par Pascal Luban - Game designer & creative director


The division heartlandLe 11 mai 2021, Ubisoft a annoncé qu'il allait développer son offre de jeux triple-A ne fonctionnant qu'en freemium (source). L'action a alors faut un plongeon de 11% en une journée, les investisseurs craignant que l'éditeur français détruise la formule à succès qui lui a permis de se développer aux cours de la dernière décennie. Qu'en est-il ? Ubisoft prend-il un vrai risque ou fait-il preuve de proactivité en se projetant dans le futur ?

Commençons par expliquer la recette du succès d'Ubisoft et de la formidable progression de son cours de bourse depuis 2015. L'éditeur a développé un "format" de jeu qu'il a ensuite appliqué à plusieurs franchises : Far Cry, Assassin's Creed, Ghost Recon, The Division, Watchdog. Bien que tous ces jeux aient des thèmes très différents, leur architecture de design demeure la même : des jeux en mondes ouverts conçus pour offrir une expérience de jeu riche et accessible à presque tous les niveaux de joueur, des jeux offrant une importante durée de vie et un excellent niveau de finition. Bien entendu, les jeux se différencient les uns des autres par des fonctionnalités et des thèmes uniques, mais ils partagent tous un important tronc commun.

Cette stratégie a permis à Ubisoft de développer des titres ambitieux et volumineux à un rythme soutenu tout en offrant un excellent niveau de qualité. Il faut noter que l'éditeur a pu réussir ce tour de force grâce à l'excellence de ses équipes, en particulier son savoir-faire en gestion de production. L'éditeur des Lapins Crétins a pu ainsi publier 3 à 4 triple-A par an et donc, fortement augmenter ses revenus et ses bénéfices.

Alors pourquoi changer une stratégie aussi fructueuse ?

Le modèle économique de ces blockbusters repose sur la vente du jeu à un prix élevé, complétée par des revenus annexes provenant de la vente de contenus additionnels. Mais les triple-A sont entrés dans une spirale de croissance constante des coûts de développement et de marketing et l'arrivée de la nouvelle génération de consoles ne va pas arranger les choses. On peut donc s'attendre à ce que ce modèle économique soit de moins en moins soutenable.

Alors, quelles sont les solutions ? La réponse est à trouver du côté des jeux freemium, les jeux "gratuits" qui génèrent des revenus, parfois stratosphériques, en ne vendant "que" du contenu additionnel et optionnel. Leur secret ? Développer une rétention à très long terme de leurs joueurs, faire en sorte que leurs jeux fassent partie de la vie des joueurs plutôt que d'être un produit que l'on consomme et range (ou revende) une fois qu'on s'en est lassé.

Ubisoft a montré la voie avec The Division. Ce titre, sorti en 2016, était très innovant pour son temps. Ce jeu est "designé" comme un bac à sable, il est conçu pour offrir une grande durée de vie - il n'y a pas d'histoire - et pour supporter de nombreuses extensions optionnelles susceptible de satisfaire différents profils de joueurs. Il est vrai que ce jeu était vendu en premium mais la stratégie de design est fortement inspiré des meilleurs pratiques des jeux freemium.

En voulant s'inspirer du design des jeux freemium, Ubisoft ne fait que capitaliser sur son expérience récente et sur l'analyse de l'industrie.

Mais il y a probablement d'autres raisons, plus visionnaires : le développement du streaming et la conquête des marchés émergents en Amérique Latine, Afrique et Asie. Aujourd'hui les triple-A sont essentiellement vendus dans les pays riches ou les joueurs disposent de puissantes machines de jeu. Demain, le streaming permettra de proposer ces jeux à des milliards de joueurs potentiels. En effet, la qualité des infrastructures de communication dans ces marchés émergents se développera certainement plus vite que leur pouvoir d'achat et leurs taux de possession de PC ou de consoles de salon. Les mécanismes de monétisation freemium seront alors la clé de ces marchés.

En s'éloignant du modèle économique traditionnel des triple-A, Ubisoft fait preuve de vision ; il ne lui reste plus qu'à concrétiser en évitant les erreurs de conception et d'intégration de ces nouvelles façons de générer des revenus.


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Publié le 27 mai 2021 par Emmanuel Forsans
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