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La dématérialisation du jeu vidéo - Quels enjeux pour cette industrie ?

Partie 2 : avantages et inconvénients - Dossier réalisé par Alexandra Koeniguer


DématérialisationChaque transformation d'un support physique en une suite de données numériques s'est toujours accompagné de profondes modifications pour les usagers, mais aussi pour le paysage économique dans lequel le changement s'inscrit. Dans le jeu vidéo, le passage au dématérialisé impacte ainsi de nombreux acteurs de manière directe. Mais on voit apparaître également des résultats indirects à ce changement d'état : dommages collatéraux, ou opportunité à saisir ? Les avis sont partagés, chacun souhaitant protéger ses propres intérêts.

Les parties prenantes : avantages et inconvénients

Avantages pour les joueurs

Côté pratique : il est plus facile de stocker un jeu dématérialisé, car il en résulte un important gain de place. De plus, il n'est plus utile de jongler entre plusieurs CDs d'installation, ni d'avoir un lecteur DVD pour pouvoir installer un jeu, notamment dans le cas des jeux sur tablettes et smartphones. Enfin, le joueur n'est plus obligé de se rendre en boutique, il peut acheter le jeu à n'importe quel moment de la journée sans avoir à se déplacer de chez lui.

" Immortalité " du jeu : il n'y a plus de problèmes de détériorations physiques (rayures…) rendant inutilisable un jeu. Il peut se télécharger autant de fois que nécessaire.

Tarifs plus attractifs : c'est relativement vrai grâce aux plates-formes telles que Steam. C'est toutefois un argument à double tranchant, car il arrive que des jeux dématérialisés coûtent plus cher que des jeux physiques disponibles dans des boutiques d'occasion(1). Par ailleurs, lors de la sortie d'un nouveau jeu, il est fréquent que la version dématérialisée soit proposée au même prix que la version en boîte.

Panel de jeux accessibles : Tous les jeux sont disponibles, des plus anciens jusqu'aux dernières nouveautés. Le joueur a également accès à des jeux qui peuvent ne pas être commercialisés dans son pays en version " physique " (jeux indépendants, ou choix stratégique de l'éditeur). Par ailleurs, les émulateurs (utilitaires permettant de faire tourner des jeux fonctionnant sur d'autres consoles) permettent également d'élargir le panel de jeux disponibles, notamment dans la niche du rétro-gaming.

Avantages pour les éditeurs

Réduction des frais : La dématérialisation entraîne une suppression des coûts de fabrication, de logistique et des intermédiaires qui représentent un coût non négligeable dans le produit final (entre 3 et 6% juste pour l'aspect logistique(2)). En passant par Steam, on estime qu'un éditeur qui vend un jeu en dématérialisé touche environ 70% des revenus engendrés, contre 30% dans les circuits de distribution classiques.

Meilleure gestion logistique : Les éditeurs peuvent revendre n'importe quel jeu, ancien ou nouveau, sans problème de stockage et d'invendus. Il est donc souvent possible de trouver des jeux anciens à la vente à très bas prix, sans que l'éditeur ait à relancer la production d'un jeu dont les ventes sont incertaines.

Moins de concurrence : Concernant les gros éditeurs, on assiste à une élimination progressive de la concurrence portée par le marché de l'occasion et de l'import.

Baisse du piratage : La dématérialisation fait baisser le piratage grâce à la facilité d'accès des jeux. Une étude(3) menée en 2011 auprès de plus de 500 joueurs PC par le consultant e-business Elastic Path a démontré que le principal facteur motivant l'achat de jeux dématérialisés était la possibilité d'installer et de jouer immédiatement, devant l'absence de support de stockage dommageable tel un CD ou le prix. De nombreux services (mises à jour, mode multijoueur…) ainsi que des prix plus abordables permettent également de rendre ces jeux plus attractifs. Cette baisse du piratage corrobore ainsi les propos de Gabe Newell (Directeur de Valve Corporation et Steam), qui estime que " le piratage est presque toujours un problème de services, et non un problème de prix ".

Avantages pour les concepteurs

Regain de liberté : La dématérialisation permet de sortir des jeux originaux destinés à des publics dits " de niche " car il est plus facile de toucher le public concerné. De plus, elle encourage les studios possédant peu de ressources (les indépendants notamment) grâce à la mise à disposition de canaux de distribution beaucoup moins coûteux.

Plus de notoriété : Cet argument est à utiliser avec précaution (cf : les inconvénients pour les concepteurs ci-dessous) mais est tout de même un des plus importants concernant ces acteurs. En effet, le fait qu'il soit plus facile de toucher un public cible tout en minimisant les dépenses évoquées dans la partie " éditeurs " permet de donner sa chance à chacun. L'exemple le plus parlant est probablement le jeu de construction Minecraft, développé en 2011 par le studio indépendant Mojang, qui a généré plus de 23 millions d'euros de recettes. A l'heure actuelle, le créateur Markus " Notch " Persson comptabilise plus de 3,7 millions d'abonnés sur Twitter, ce qui lui assure une couverture suffisante pour chacun de ses nouveaux jeux.

Concernant les constructeurs et revendeurs, la dématérialisation du jeu vidéo ne semble pas s'accompagner d'avantages significatifs.

Inconvénients pour les joueurs

Disparition de l'aspect " collection " : Sans support physique, les joueurs n'ont plus d'objet palpable. Les joueurs sont particulièrement lésés lors des sorties de coffrets collectors : les artbooks numériques, OST(4) sous format mp3 ou items ingame(5) exclusifs remplacent alors les figurines et autres goodies(6) qui constituent l'intérêt même d'une version collector. Les livrets d'aide sont également supprimés, remplacés généralement par des phases de tutoriels ingame.

Connexion Internet obligatoire : Les joueurs n'ont pas forcément accès à une connexion Internet suffisante pour télécharger un gros jeu. Certains jeux obligent également le joueur à être connecté constamment afin de jouer, ce qui provoque régulièrement des levées de boucliers obligeant les éditeurs à lever cette restriction (ex : SimCity en 2013(7)).

Prêt et revente impossible : Actuellement, l'utilisateur ne peut revendre un jeu rattaché à son compte (Apple, Steam…). Le jeu n'appartient pas au joueur, et il ne peut donc pas le prêter non plus car les logiciels sont concédés sous licence. Le joueur ayant acheté un produit dématérialisé est donc dans l'impossibilité de profiter du marché de l'occasion.

Prêt et revente impossible : Actuellement, l'utilisateur ne peut revendre un jeu rattaché à son compte (Apple, Steam…). Le jeu n'appartient pas au joueur, et il ne peut donc pas le prêter non plus car les logiciels sont concédés sous licence. Le joueur ayant acheté un produit dématérialisé est donc dans l'impossibilité de profiter du marché de l'occasion.

Omniprésence du DLC(8) : Le fait qu'il soit à présent très simple de proposer une mise à jour pour un jeu a donné lieu à une banalisation du DLC. Ces contenus additionnels, la plupart du temps payants, se rajoutent au prix d'achat d'origine d'un jeu afin d'en augmenter la durée de vie ou d'ajouter des éléments qui susciteront l'intérêt du joueur. On y retrouve pêle-mêle des bouts entier du scénario (avec des dérives, comme Prince of Persia dont la vraie fin était contenue dans un DLC payant), des objets cosmétiques, de nouvelles quêtes, etc… Les abus concernant les DLC sont légion, et semblent s'inscrire dans la mode économique des " micro-transactions ", considérées comme plus rentables depuis que le marché du jeu s'est ouvert à un public plus large.

L'utilisation du DLC dans le jeu vidéo au fil du temps

Inconvénients pour les éditeurs

Nouvelles contraintes techniques : Les éditeurs doivent faire l'acquisition de nouveaux espaces de stockage.

Nouveaux coûts : Ceci implique de payer la location ou l'achat de serveurs, ainsi que d'assurer la maintenance de ces derniers pour éviter une coupure du réseau.

Concurrence accrue : Il est nécessaire de prévoir des budgets plus larges en marketing pour se démarquer du lot, car le marché est saturé de nouveaux titres chaque semaine. Par exemple, on voit ainsi apparaître de plus en plus d'annonces publicitaires à la télévision alors que cette pratique était relativement marginale, et réservée à des titres AAA(9). Les coups marketing de grande envergure se multiplient également. Pour un jeu comme " Call of Duty : Modern Warfare 2 ", le budget marketing représente ainsi 82%(10) du budget total !

Le monopole des distributeurs : Actuellement, les principaux acheteurs sont les joueurs dits "casual"(11) qui achètent plutôt en magasin. Les éditeurs ne peuvent donc pas baisser les prix des jeux dématérialisés sans craindre que les distributeurs ne se sentent lésés et voient leur chiffre d'affaire baisser, et décident de retirer les jeux de l'éditeur de leurs étalages. NedGame, un distributeur aux Pays-Bas, a fait le choix de ne pas distribuer la PSP Go dépourvue de lecteur UMD(12), les jeux jouables devant donc être téléchargés sur le service en ligne du PlayStation Network. En partie à cause en partie du boycott des distributeurs, Sony a dû mettre fin à la production de sa console portable en avril 2010, après seulement un an et demi de commercialisation.

Inconvénients pour les concepteurs

Concurrence accrue : Bien que la dématérialisation représente une chance pour chaque studio de se faire connaître, le fait que n'importe qui puisse lancer son jeu implique qu'une concurrence féroce anime le milieu, et qu'il est très difficile de se faire repérer par la communauté et par les journalistes du milieu.

Inconvénients pour les revendeurs

Pertes de revenus : Les revendeurs semblent être les grands perdants quand on évoque la dématérialisation des jeux vidéo. Ils subissent de plein fouet les conséquences désastreuses de la suppression des intermédiaires. Ainsi, le marché de l'import, le marché de l'occasion et les distributeurs spécialisés, confrontés à d'importantes pertes financières, sont contraints de licencier. Certaines chaînes ont fait faillite, ne parvenant plus à attirer les joueurs dans leurs magasins.


Alexandra KoeniguerDossier réalisé par Alexandra Koeniguer
Webmaster éditorialiste, ancienne journaliste pour Mondes Persistants


La dématérialisation du jeu vidéo - Quels enjeux pour cette industrie ?

Partie 1 : Etat des lieux sur un marché en plein essor
Partie 2 : Avantages et inconvénients
Partie 3 : Les changements générés par la dématérialisation

A paraître dans la quatrième partie : S'adapter à un nouveau système


Notes et références

1. Les jeux dématérialisés coûtent 30% plus chers qu'en boite (Numerama)

2. La création d'un jeu vidéo : étapes, acteurs… (Jeuxvideo.fr)

3. The State of PC Gaming 2011 : The Shift from Packaged Goods to Digital Distribution (Slideshare)

4. OST : Original Sound Track, bande originale

5. Ingame : En jeu, inclus dans le jeu

6. Goodies : Produits dérivés (généralement promotionnels et gratuits)

7. Simcity Hors ligne arrive ! (SimCity)

8. Downloadable Content : Contenu additionnel téléchargeable

9. AAA : Un titre AAA est équivalent à un blockbuster dans le milieu du cinéma

10. Tout sur le prix de vos jeux (Jeuxvideo.com)

11. Casual : Les joueurs " casuals " jouent occasionnellement. Ils sont l'opposé des " hardcore gamers ".

12. UMD : Le " Universal Media Disc " est un CD de petite taille créé par Sony pour la console PSP

Publié le 13 mai 2016 par Emmanuel Forsans
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