
Jeux vidéo et guerres culturelles : L'Observatoire Européen des Jeux Vidéo publie une première étude sur les tensions idéologiques qui secouent régulièrement l'industrie
Par Olivier Mauco, Dr. en sciences politiques, président de Game in Society, président de l'Observatoire européen des jeux vidéo
Le jeu vidéo n'est plus seulement un divertissement : il est devenu un objet culturel majeur, offrant un terrain privilégié d'affrontement politique, idéologique, et moral. Alors qu'un Français sur deux s'immerge régulièrement dans l'univers du jeu vidéo[1], les polémiques autour des représentations et des valeurs qu'ils véhiculent se font de plus en plus nombreuses et véhémentes au point de se demander qui en veut au jeu vidéo ?
Face à cette mutation, l'Observatoire Européen des Jeux Vidéo (OEJV) publie une étude inédite. Intitulée "Jeux vidéo, terrain de bataille des guerres culturelles", elle met en avant la politisation croissante des jeux vidéo en 2024 et son impact sur le secteur et la société.
Une industrie influente tiraillée entre wokisme et conservatisme
Depuis cinquante ans, le jeu vidéo s'est imposé comme un acteur central du quotidien de milliards de joueurs. Média de divertissement, moteur d'innovations technologiques, laboratoire de nouveaux modèles économiques et socialement structurant, il influence tous les aspects de la culture contemporaine.
C'est dans ce contexte que l'Observatoire Européen des Jeux Vidéo voit le jour pour décrypter l'impact grandissant de ce marché, qui s'affirme désormais comme l'industrie culturelle et créative leader.
Fondé par Olivier Mauco, créateur de jeux vidéo et chercheur en sciences politiques, cet organisme se donne pour mission d'offrir une analyse approfondie des dynamiques du secteur, avec un éclairage résolument européen.
Le jeu vidéo est devenu une industrie majeure du numérique, pourtant il reste peu pris en compte dans les politiques européennes. Alors même qu'il est un terrain d'affrontement pour les batailles culturelles et morales, où les polémiques sur les représentations et les figures incarnées par les joueurs se multiplient sous l'impulsion de nouveaux leaders d'opinion, son rôle dans les dynamiques économiques et politiques reste sous-estimé",
explique Olivier Mauco, Président de l'OEJV.
Qui en veut au jeu vidéo ?
L'étude souligne un phénomène de plus en plus marqué : les jeux vidéo sont jugés non plus uniquement sur leur gameplay ou leurs qualités techniques, mais à travers un prisme idéologique où les valeurs qu'ils véhiculent sont de plus en plus déterminantes dans leur réception auprès d'un public divisé.
D'un côté, une partie des joueurs attendent davantage de diversité, d'inclusion et une prise en compte des questions sociétales (LGBTQ+, minorités, féminisme, écologie) aux côtés d'éditeurs et de développeurs qui s'engagent et cherchent à anticiper les critiques. De l'autre, une frange conservatrice, qui s'oppose à ce qu'elle considère comme une politisation excessive des jeux vidéo, et critique les politiques de "Diversity, Equity & Inclusion" (DEI). En aplomb, des acteurs qui utilisent le jeu vidéo comme un outil de soft power.
Ces tensions sont exacerbées par la sphère numérique, où les réseaux sociaux et plateformes comme X (ex-Twitter), YouTube et Reddit jouent le rôle d'amplification des débats. Un effet de chambre d'écho qui occulte les discussions sur la qualité intrinsèque des jeux.
L'étude se penche sur cinq jeux vidéo dont l'accueil critique des trois premiers a été influencé par ces débats idéologiques, alors que les deux autres utilisent le jeu vidéo comme outil de communication politique ou la politique comme enjeu ludique :
- Stellar Blade et les controverses sur la sexualisation des personnages féminins ;
- Dragon Age : The Veilguard, cible de boycott pour ses représentations LGBTQ+ ;
- Assassin's Creed Shadows, sujet de polémiques avant même sa sortie en raison de son protagoniste d'origine Africaine ;
- Black Myth : Wukong, acclamé par les communautés conservatrices américaines qui y voient une représentation fidèle et traditionnelle de la culture - chinoise - et qu'ils opposent aux productions occidentales jugées "wokes" ;
- Helldivers 2, un des grands succès de 2024 qui intègre la politique dans son gameplay et dans sa communication marketing.
L'OEJV : un acteur stratégique pour l'industrie et les décideurs européens
Dans la tempête culturelle et idéologique qui bouleverse l'industrie du jeu vidéo, l'OEJV se positionne comme un point de repère en rassemblant l'ensemble des parties prenantes du jeu vidéo dans une perspective européenne. L'objectif : offrir une meilleure compréhension des mutations et des enjeux du secteur.
A travers l'Observatoire Européen des Jeux Vidéo, notre ambition est d'en offrir une lecture globale et transversale, afin d'accompagner les décideurs publics et privés dans leurs stratégies face aux mutations du secteur et à l'émergence de nouvelles formes d'engagement et de mobilisation",
précise Olivier Mauco.
L'Observatoire se consacre à la production d'études et d'analyses stratégiques sur les tendances et mutations du jeu vidéo qui s'adressent aux acteurs de l'industrie, mais également aux entreprises extérieures attirées par l'univers du gaming, aux pouvoirs publics (européens, nationaux et régionaux), ainsi qu'aux Organisations Non Gouvernementales et associations cherchant à utiliser le jeu vidéo comme levier d'action. L'OEJV entend démontrer que l'espace européen du jeu vidéo est traversé par des enjeux géopolitiques cruciaux.