Emergence de nouveaux modèles d'entreprise et impact des technologies du numérique sur notre société
Compte-rendu global Sommet International du Numérique
Le sommet mondial du numérique " April in Paris " organisé pour la deuxième année consécutive le vendredi 13 avril dernier à Paris par le groupe Jouve en partenariat avec le CIGREF, a réuni plus de 150 dirigeants et personnalités de renommée mondiale. Plusieurs tables rondes ont été organisées lors de cette journée afin de leur permettre de partager leurs expériences relatives aux nouvelles stratégies d'entreprises dans un monde numérique.
Le développement d'une nouvelle civilisation numérique
Le vendredi 13 avril 2012, Monsieur Thierry Tomasov, Président-directeur général du Groupe Jouve a ouvert " April in Paris ", le sommet mondial du numérique 2012. M. Tomasov a expliqué lors de son discours d'ouverture que le Groupe Jouve et le CIGREF partagent le même point de vue : " les sociétés et institutions internationales sont actuellement confrontées à la révolution des réseaux sociaux, des technologies mobiles et du cloud computing. Nous voyons émerger les notions d'entreprise et de cultures numériques au sein de nos organisations. "
Dans ce cadre, Jouve et le CIGREF ont décidé de réunir des acteurs influents d'horizons variés pour échanger sur l'émergence de nouveaux modèles d'entreprise et l'impact des technologies numérique sur notre société.
Claudie Haigneré fut la première intervenante de la matinée à s'exprimer sur l'impact de la technologie numérique sur notre société et le développement d'une nouvelle civilisation numérique. Docteur en médecine, Madame Haigneré fut également la première femme astronaute européenne, avant d'être nommée Ministre au sein du gouvernement français. Elle est aujourd'hui Présidente d'Universcience, un établissement public de premier plan chargé de favoriser et de développer le lien entre le monde de l'éducation et celui de la science.
Selon Claudie Haigneré, notre façon d'utiliser le Web a considérablement évolué : " Internet tel que nous le connaissions n'existe plus : nous n'allons plus sur Internet, nous en faisons partie. " Ces nouveaux défis se compliquent davantage car " le développement d'Internet est difficile à anticiper dans le détail. Il dépend d'une multitude d'initiatives prises par des individus ou de petits groupes. En d'autres termes, coopération et collaboration doivent être au cœur de la civilisation numérique, avec son lot d'opportunités. " Madame Haigneré a ajouté : " tout comme le pétrole le fut au 20e siècle, les données sont notre nouvelle source d'énergie. Et la bataille pour acquérir ces nouveaux gisements ne fait que commencer. " Dans ce contexte, la question de la confidentialité et de l'accès à cette nouvelle source d'énergie est au centre des débats. Selon Claudie Haigneré, nous devons nous demander " comment éviter que l'accès au World Wide Web ne soit une porte ouverte sur notre propre vie privée. "
Pascal Buffard, Directeur Général d'AXA Group Solutions et AXA Technology Services et Président du CIGREF, a évoqué les futurs enjeux des entreprises : " face à la transformation numérique de notre secteur, nous devons être en mesure d'allier vitesse, innovation et efficacité collective afin de concilier performance économique et environnement organisationnel et de trouver les moyens de mobiliser des valeurs comme l'engagement, la coopération et la confiance. "
M. Buffard est convaincu qu'il faut " procéder à une transformation radicale. "
L'impact du numérique sur les organisations et les entreprises
Ancien Vice-Doyen à la Wharton School of Business de l'Université de Pennsylvanie, Jonathan Spector est aujourd'hui Président-Directeur général de The Conference Board et spécialiste des questions relatives au management et au leadership. Selon lui, " l'essence du leadership va sensiblement évoluer ", et " nous allons devoir nous adapter au monde numérique et miser davantage sur la confiance, la capacité à gérer le risque, l'empathie et la clarté des objectifs. "
Bernard Hours, Directeur Général délégué et Vice-Président du Conseil d'administration de Danone a décrit l'un des principaux facteurs de réussite des entreprises : selon lui, " il faut adopter une organisation horizontale. " Cela implique de décentraliser, " d'adapter le comportement du directeur de l'entreprise et sa relation avec sa propre société : il faut abolir les silos, les murs et les portes closes. " Le géant international des produits alimentaires et boissons est confronté à d'autres changements : " De nouveaux profils de postes voient le jour. On emploie désormais des responsables des réseaux sociaux chargés d'un réseau social pour une marque. "
Jonathan Spector a également son opinion sur cette décentralisation : " Il va falloir se détourner un peu du pouvoir et de la hiérarchie. Il n'est pas question de les abolir, mais plutôt de se concentrer davantage sur la capacité à motiver et à diriger les personnes car nous allons perdre en influence sur nos clients, mais surtout sur nos employés. "
Selon Bruno Ménard, CIO de Sanofi et Vice-Président du CIGREF, " nous avons assisté à ce que nous pourrions appeler un "changement de paradigme" ; cette innovation des technologies de l'information n'est plus réservée aux grandes entreprises : elle est également présente dans les foyers et dans la société. "
Qu'en est-il donc des changements structurels imposés par la révolution numérique et de l'évolution des attentes des clients et des employés ? Steve Rosenblum, fondateur de Pixmania, l'un des plus grands sites européens de vente en ligne de produits électroniques, pense qu'" il existe deux types d'entreprises : les entreprises créatives qui tentent de se réinventer et les autres, qui tentent simplement de réduire les coûts et de s'en sortir. "
Steve Rosenblum a ajouté : " Je pense que c'est vers cela que le commerce ou la vente au détail se dirige, et je ne vois pas comment les grands détaillants pourraient y parvenir vue leur situation actuelle. Je pense donc que l'entreprise de commerce électronique ne va pas se contenter d'être un pure player, mais qu'elle va vendre, avec un nouveau format, de nouvelles normes, de nouvelles expériences à proposer aux clients, et cetera. "
Steve Rosenblum a beau être à la tête d'une immense entreprise en ligne, il reste conscient qu'en France " 80 % du marché est toujours dans les magasins qui ne seront pas en mesure de baisser les prix. " En réponse à cela, les détaillants pourraient en faire actuellement " un lieu social et un gage de réussite. "
Ralf Buchi, Président de la division internationale d'Axel Springer, a expliqué en quoi il est essentiel de définir une stratégie de croissance pour faire face à l'évolution technologique : " la majeure partie de notre croissance numérique est passée par des acquisitions : si vous avez pour objectif de réaliser 50 % de votre chiffre d'affaires grâce au numérique, et c'est clairement notre objectif pour les années à venir, vous devez en grande partie miser sur la croissance inorganique, et cela implique des acquisitions. "
Il a également adressé des conseils aux dirigeants cherchant à acheter et à intégrer des solutions : " pour y parvenir, il est essentiel de faire ce type d'acquisitions uniquement si vous êtes convaincu que votre entreprise peut apporter de la valeur à la cible que vous venez d'acquérir. "
Dans un monde ouvert, soyez crédible et transparent !
Selon Jean-François Phelizon, Directeur Général adjoint du Groupe Saint-Gobain, spécialiste des matériaux de construction, " de nos jours, il n'y a plus de frontière entre ce qui fait et ne fait pas partie d'une société ", un aspect particulièrement important pour une entreprise fondée en 1665.
Simon Schneider, d'InnoCentive, le spécialiste du crowdsourcing, a décrit certains changements radicaux apportés par " les réseaux sociaux, qui se sont organisés, ont formé des communautés et mènent désormais la barque. " Les réseaux sociaux sont là pour durer et ils ne plaisantent pas : " ils bâtissent des entreprises gigantesques ; ils prennent le contrôle de vieilles sociétés. "
Pour Bernard Hours, cela n'a rien d'étonnant : " le monde du numérique fonctionne un peu comme ça : en cas d'accélération, on perd le contrôle. " Pour lui, la solution est de " laisser aux pays et aux entreprises l'opportunité, la possibilité de tester, d'échouer et d'apprendre, pour ensuite développer ce qui fonctionne. "
Ben Verwaayen, Directeur général d'Alcatel-Lucent, a ajouté que les entreprises sont non seulement confrontées à une évolution rapide et à une compétition féroce, mais également à des questions réglementaires : " Le problème avec la législation ou la réglementation, c'est qu'elles sont toujours tournées vers le passé et non vers l'avenir. On ne peut pas réglementer ou légiférer sur ce qui n'existe pas. L'innovation s'oriente toujours vers le futur et il est donc naturel que ce qui nécessite d'être réglementé soit le reflet du passé. "
En tant que Sous -directeur général pour la communication et l'information au sein de l'UNESCO, Janis Karklins apporte un autre point de vue : " Le principe d'Internet est qu'il n'y a pas de maîtrise centrale. L'intelligence issue des quatre coins du globe est le moteur de son innovation, et nous ne pouvons pas prédire son avenir car le potentiel est tellement important que personne ne voit rien venir : quelque chose peut se produire aujourd'hui sans que personne ne s'y attende. "
Simon Schneider a ensuite conseillé d'" avancer à petits pas, tout en restant ouvert et transparent. " Pour lui, " il ne faut pas penser qu'on peut s'en sortir avec une "mini" ouverture ou une semi ouverture : en termes d'innovation, il faut être ouvert sur toute la ligne. "
Andrew Savikas, Directeur Général de Safari Books Online, a déclaré que " nous vivons dans un monde où nous n'avons pas à lever le doigt pour parler librement à un très large public. " Comme il l'a expliqué, " en vieil anglais, le mot "publish" (publier) signifiait "déclamer en public" : c'est ainsi qu'on "publiait" les nouvelles lois ou règles pour la communauté. " Ces nouvelles règles communautaires évoluent constamment, comme l'a fait remarquer Pierre Hanotaux. Le Directeur général délégué de la société nationale de programme Audiovisuel Extérieur de la France ; la société mère de la chaîne d'information internationale France 24, a expliqué les défis auxquels son organisation est confrontée en termes de rapidité et de changement : " dans le monde numérique, nous voulons que tout aille vite, mais cela n'est pas sans risque : c'est notre crédibilité qui est en jeu et, dans les médias, vous ne pouvez pas survivre si vous n'êtes pas crédible. "
Les nouvelles technologies mobiles et les réseaux sociaux : comment tirer profit de la créativité du public ?
" Je pense avant tout que cela nous définit également en terme d'âge et que nous continuons à parler de média social car nous pensons apparemment qu'il s'agit d'une catégorie à part, par rapport aux autres médias. Eh bien, réfléchissons-y à deux fois : pour les véritables utilisateurs, les jeunes, l'expression "média social" n'existe pas. Les médias existent probablement pour eux, mais ils sont nés avec ", a déclaré Ben Verwaayen. Selon lui, il s'agit là d'un problème générationnel : " en mettant les médias sociaux dans une catégorie à part, on donne malheureusement bien plus d'informations qu'on ne le souhaite sur notre âge. "
Bernard Hours affirme qu'" aujourd'hui, le potentiel de chaque être humain est tout simplement proportionnel au nombre de personnes auquel il est connecté ". La question de la connectivité et les problèmes associés ont d'ailleurs été abordés par plusieurs intervenants.
Janis Karklins a évoqué le Sommet mondial de 2005 sur la société de l'information, soulignant qu'" à l'époque, on parlait d'environ un milliard d'utilisateurs de téléphones portables, alors qu'aujourd'hui on en compte environ 6 milliards ". Par conséquent, " le débat international glisse progressivement : on ne parle plus des accès et des infrastructures mais réellement de l'utilisation - bonne ou mauvaise - d'Internet. "
Tao Shi, Vice-président du site de vente en ligne chinois 360Buy.com, a donné des statistiques intéressantes sur le marché asiatique, soulignant qu'" aujourd'hui, la Chine compte plus de 700 millions d'utilisateurs, dont 40 % sont probablement des utilisateurs de smartphones. "
Selon Ralf Buchi d'Axel Springer, " Le développement des appareils numériques portatifs est une formidable opportunité : les clients et le consommateur sont habitués à payer, que ce soit pour un appel, un SMS, une sonnerie... Il est donc bien plus facile de proposer un contenu payant, et c'est d'ailleurs ce que nous faisons ". Pascal Buffard a su également y voir une application pour le secteur de l'assurance - " les téléphones portables et les réseaux sociaux sont une formidable opportunité de construire des relations plus proches avec certains segments d'une communauté ; nous travaillons actuellement sur la gestion des relations sociales avec nos clients afin de développer des communautés non seulement autour de l'assurance mais aussi autour d'intérêts communs. "
Terry Waters de Yankee Group a présenté une brillante analyse des processus en jeu : " pour la première fois, la technologie est personnalisée, nos appareils nous connaissent, ils savent qui nous sommes, où nous sommes, ce que nous aimons et qui nous connaissons. "
Même l'institution française qu'est la SNCF commence à mettre en place des solutions mobiles. Bernard Emsellem, Directeur Général Délégué à l'écomobilité, a expliqué comment la SNCF " donne l'accès à l'ensemble des données de la région parisienne à d'autres entreprises pour qu'elles puissent créer des applications et des logiciels ciblés. "
Selon Terry Waters, " la mobilité ne se résume pas au wifi, elle doit permettre à chacun d'avoir un accès fluide et continu à n'importe quel contenu, application ou service depuis n'importe quel appareil, quel que soit le lieu ou le moment. "
Bernard Hours a expliqué qu'" aujourd'hui, nous avons des marques sociales : sur Internet une marque est une personne. Il ne s'agit pas simplement d'une relation avec un produit, mais d'une entité qui propose des services, entre en contact avec les gens et répond à leurs questions. "
Cette expansion et ce changement touchent également les produits imprimés. Eileen Gittins, fondatrice du géant de l'auto-édition Blurb, pense que " les livres deviennent des conversations, pas seulement des discours ", qui impliquent un grand nombre de personnes dans des débats sur leur contenu, voire qui forment leur contenu.
Comme le fait remarquer Jonathan Spector, " il y aura toujours un public, avec ou sans vous ; ce n'est pas à vous, à nous en tant que chefs d'entreprise de choisir. Le public est là et la question est de savoir si nous choisissons de travailler avec lui ou pas. "
Jean-François Phelizon nous met cependant en garde : " parfois, si nous ne faisons que suivre le consensus, qu'il s'agisse de celui du public ou d'un groupe de personnes, nous prenons le risque de perdre toute originalité et de passer à côté d'une idée géniale, qui paraît banale ". Gardons bien à l'esprit que les opinions les plus répandues ne sont pas forcément les meilleures.
Tous les intervenants de cette année se sont accordés à dire que " dans un marché en évolution, vous devez ajouter de la valeur. "
Bernard Hours a parfaitement résumé les défis de cette nouvelle ère des médias : " l'Internet ne se résume pas à la communication, c'est une communication à laquelle vient s'ajouter une transaction, ce qui veut dire qu'à tout moment, en tout lieu et continuellement, vous vendez quelque chose. Cela modifie radicalement notre comportement. "
Tao Shi a commenté la difficulté de ces défis : " Il faut d'abord réagir correctement à la demande du client. Les clients veulent les meilleurs services et les meilleurs produits aux meilleurs prix, il faut donc bien faire les choses dans ces trois directions, et pas simplement dans une seule. "
Malgré les défis des nouveaux médias, l'industrie traditionnelle du contenu continue de s'imposer. Selon Len Vlahos du Book Industry Study Group, le marché de l'édition pèse aujourd'hui 28 milliards de dollars et " en termes d'exemplaires, environ 2,5 milliards. "
Malgré la récession, " les ventes d'eBooks ont littéralement explosé ; elles ont connu une hausse significative en 2010 qui s'est poursuivie au cours des deux premiers trimestres de 2011 ". Eileen Gittins a également parlé d'ajouter de la valeur aux produits imprimés et numériques. Elle est convaincue que " chaque livre du 21e siècle devrait avoir son groupe dédié. "
Jonathan Spector affirme que la question de la valeur est capitale : " Pour aller de l'avant, la première question à se poser est "qu'est-ce que les clients apprécient vraiment ?" et "pour quoi sont-ils prêts à payer ?". Je pense qu'ils sont prêts à payer pour les services et produits qu'ils apprécient vraiment. "
Eileen Gittins a évoqué cette expérience de mesure de la valeur, et ses tests pratiques en dehors des librairies visant à comprendre les attentes des clients : " Nous avons demandé aux gens "combien seriez-vous prêt à payer pour ce livre ?", et les réponses allaient de "rien, je n'aime pas ce livre" à beaucoup d'argent. Puis nous avons demandé "combien seriez-vous prêt à payer pour ce livre s'il s'agissait de votre propre livre ?" et les réponses allaient d'une somme d'argent surprenante à "ce livre n'a pas de prix, je paierais n'importe quel prix". " Blurb a découvert que la personnalisation était la clé de leur modèle économique.
Claudie Haigneré a accepté ces nouveaux changements, mais souligne l'importance de développer de nouveaux systèmes d'éducation adaptés : " Nous devons développer l'apprentissage, l'enseignement et la formation, et pas uniquement avec les technologies et dans des environnements numériques. Nous devons aussi les développer grâce aux relations et aux interactions humaines. Les natifs du numérique sont numériquement intelligents mais manquent de sagesse. " Madame Haigneré a conclu son discours en déclarant qu'" au lieu de nous demander quelle Terre nous voulons laisser à nos enfants, nous ferions mieux de nous demander quels enfants nous souhaitons laisser sur notre Terre. "