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Former les game designers de demain (Part 5/5)

Par Pascal Luban - Game designer & creative director, freelance


Dans la dernière partie de cette série de publications consacrées à la formation des game et level designers, j'aborde un aspect peu enseigné du processus de design d'un jeu : Les playtests. Ils constituent pourtant la meilleure assurance-qualité du gameplay d'un jeu.

Le paradoxe des playtests

Aujourd'hui, tout le monde est d'accord sur leur importance. Et pourtant, nombreux sont les studios à ne pas y accorder suffisamment d'attention !

Les raisons sont multiples : Manque de temps pour les organiser, manque de savoir-faire, mais surtout, manque de vision des responsables de projet qui, le plus souvent, n'ont jamais eu l'occasion de bénéficier de bons playtests. Or, les playtests, tant qu'on n'y a gouté, on ne peut pas se rendre compte de leur valeur-ajoutée.

Ce qui rend les playtests aussi pertinents, aussi efficaces, c'est qu'ils doivent être conduit avec des joueurs, extérieurs à l'équipe de développement, et représentatifs de l'audience que vous ciblé.

Il faut aussi suivre une bonne méthodologie. Cette dernière n'est pas compliquée mais elle n'est pas toujours connue ou bien comprise.

Mais si ces deux conditions sont atteintes, les playtests ont un impact significatif sur son projet. Ils permettent d'améliorer le système de jeu, de l'adapter à son audience, de rendre le jeu plus compréhensible, d'améliorer l'onboarding et la rétention à long terme, d'en affiner les réglages, d'équilibrer ces derniers pour les modes multi-joueurs, de construire un level design plus "lisible" et plus riche.

C'est la raison pour laquelle les game et level designers doivent être conscients de leur importance, doivent savoir comment les intégrer dans leur travail et doivent savoir comment les mettre en place si le besoin s'en fait sentir.

Etude de cas

Splinter Cell - Pandora TomorrowAfin d'illustrer l'impact des playtests sur la qualité d'un jeu, voici une situation concrète que j'ai vécue lors de ma mission sur la version multijoueur de Splinter Cell - Pandora Tomorrow.

Le mode multijoueur de ce jeu a été développé au studio Ubisoft d'Annecy tandis que le mode solo était la responsabilité du studio de Shanghai. J'ai intégré l'équipe d'Annecy pour mettre en place et gérer la structure de playtest ; ce n'est que plus tard que j'en suis aussi devenu lead level designer. J'ai cependant continué à m'occuper des playtests en parallèle.

Ce mode multijoueur était absolument unique car il offrait un gameplay asymétrique : Les deux camps n'avaient pas le même gameplay.

Les joueurs du camp des assaillants, les espions, avaient un gameplay de type infiltration : Ils pouvaient se cacher dans l'ombre et se déplacer silencieusement, grimper un peu partout dans les niveaux, ils avaient accès à un équipement adapté, ils disposaient d'une vue à la troisième personne pour une meilleure appréhension de leur environnement. En contrepartie, il leur étaient très difficiles de tuer leurs adversaires.

Les joueurs du camp des défenseurs, les mercenaires, avaient accès à un gameplay de type jeu de tir à la première personne : Ils disposaient d'un arsenal impressionnant, d'équipement de détection et de mines en tout genre mais ils étaient lents et ne pouvaient emprunter que les escaliers et les planchers.

Les conditions de victoire étaient simples : Les assaillants devaient neutraliser X consoles sur Y dans un temps limité et les défenseurs devaient les en empêcher.

Les équipements étaient nombreux et tous avaient une vraie valeur. Le réglage de ces derniers nous a donc donné beaucoup de fil à retordre et sans les playtests, nous n'y serions jamais arrivé.

Un bon exemple est la grenade fumigène, un des accessoires des assaillants. Cette grenade ne pouvait être lancé qu'aux pieds de l'assaillant qui l'activait ; elle avait été conçue comme un moyen de défense en cas de rencontre avec un mercenaire. Une fois au sol, la grenade produisait un nuage de fumée qui bloquait la visibilité des défenseurs et qui les ralentissaient s'ils s'avisaient de poursuivre l'assaillant.

Face à un équipement aussi puissant, les défenseurs disposaient de "contres" : Avec le masque à gaz, ils pouvaient franchir le nuage de fumée sans être ralenti et la vision thermique leur permettait de voir leur cible au travers du nuage. Cela dit, comme les joueurs ne pouvaient embarquer que quatre équipements dans leur loadout, tous les défenseurs ne s'équipaient pas systématiquement du masque à gaz. Quant à la vision thermique, l'étroitesse de son cône de vision en limitait l'usage face à une cible se déplaçant en zig-zag.

La grenade fumigène était donc un accessoire prisée des assaillants car efficace en cas de rencontre fortuite.

Mais nous nous sommes rendus compte, lors des playtests, que les assaillants avaient trouvé un nouvel usage pour cette accessoire défensif : Faciliter la prise des objectifs.

Pour prendre un objectif, un assaillant devait simplement hacker une console en restant une dizaine de secondes à proximité de cette dernière. Ce délai parait bref mais l'opération était très dangereuse car les défenseurs étaient immédiatement avertis de la console attaquée. Or, comme les assaillants ne disposaient pas d'arme létale, ils se transformaient en cible.

Mais, comme nos maps étaient essentiellement intérieures, l'accès aux objectifs se faisaient par des couloirs. Nos playtesteurs se sont alors rapidement rendus compte qu'ils pouvaient sérieusement ralentir l'arrivée des défenseurs, et donc prendre les objectifs, en jetant des grenades fumigènes dans les couloirs d'accès !

Il n'était pas question de supprimer l'effet de ralentissement associé aux grenades fumigènes car ce dernier était fort apprécié par les assaillants, mais il ne fallait pas que ces grenades déséquilibrent le jeu en faveur de ces derniers.

La solution fut de jouer sur la "durée de vie" du nuage de fumée mais trouver le bon réglage s'avéra très délicat : Quelques secondes de trop et la grenade fumigène déséquilibrait le jeu, quelques secondes de moins et elle devenait quasiment inutile aux assaillants !

Le bon réglage, à la seconde près, fut finalement trouvé après de nombreuses sessions de playtest ou des joueurs chevronnés jouèrent une bonne centaine de parties avec différents réglages.

Pour la petite histoire, le mode multijoueur de Splinter Cell - Pandora Tomorrow fut un énorme succès. On le retrouva dans les deux opus suivants : Chaos Theory et Double Agent. Pour ma part, je poursuivis ma mission jusqu'à la fin du développement de Chaos Theory.

Bonnes pratiques

Des explications sur l'organisation des playtests nécessiterait une publication complète. Partant du principe qu'un game designer est avant tout le "client" des playtests, son destinataire, je vais vous partager quelques bonnes pratiques pour vous, les bénéficiaires des sessions de playtest.

Utilisez les sessions de playtest pour évaluer des aspects spécifiques de votre design

Aujourd'hui, de nombreuses équipes cherchent à mettre en place des cycles de développement courts et itératifs : Design - développement - test - modification du design - développement - test - Etc.

Dans cette optique, utilisez les sessions de playtests pour évaluer vos travaux en cours. Cela signifie que c'est vous, game ou level designer, qui doivent faire part au responsable des playtests de vos besoins en matière de retour des joueurs. Cela lui permettra d'adapter le contenu de ses sessions aux besoins du moment.

D'une manière générale, les sessions de playtest qui suivent un protocole immuable, standard, ne sont pas d'une grande utilité.

Assistez aux sessions

En assistant vous-même aux sessions, vous allez pouvoir observer les playtesteurs. Vous allez voir les choix qu'ils font, leurs hésitations face à un menu, leur bonne ou mauvaise utilisation des fonctionnalités, leur difficulté à les mettre en oeuvre, leur schémas de navigation dans une map, etc.

Mais, vous allez surtout voir ce qu'ils ne font pas. Un game ou un level designer imagine le comportement des joueurs mais ces derniers jouent comme ils l'entendent et font souvent des choses qui non pas été anticipé. En observant leur comportement, on comprend beaucoup mieux ce qu'attendent les joueurs de leu leur jeu, ce qui le rendra moins frustrant et plus prenant.

Et, bien entendu, vous allez pouvoir leur poser vos propres questions.

Si vous vous contentez des debriefs du responsable des playtests, vous passerez à côté de ces précieux enseignements.

Poussez votre direction de projet à organiser des playtests

Enfin, si la direction de votre projet tarde à mettre des playtests en place, une situation dont je suis le témoin fréquemment, poussez-la à le faire … et insistez ! Les résistances en la matière sont importantes … et je sais de quoi je parle.

N'oubliez-pas que si le design du jeu ne donne pas satisfaction, c'est vous qu'on blâmera. Des playtests vous permettront d'identifier les faiblesses de votre gameplay ou de vos levels et d'y remédier avant qu'il ne soit trop tard.

Le mot de la fin

En France, nous avons la chance de disposer d'excellents écoles formant aux différents métiers présents dans un studio de développement. Ayant eu l'occasion de côtoyer de jeunes game designers issus de ces écoles, j'ai pu apprécié la qualité de leur formation. Mais j'ai voulu partager avec vous des enseignements résultant de mon expérience sur le terrain.

Encore aujourd'hui, j'apprends.

L'être humain est un éternel apprenti.

Merci d'avoir lu mes publications.

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Publié le 13 mai 2024 par Emmanuel Forsans
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