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Battlefield 2042 - L'industrie du jeu doit-elle suivre le modèle des blockbusters d'Hollywood ?

Par Pascal Luban - Game designer & creative director


Battlefield 2042Electronic Arts vient de publier plusieurs trailers sur son futur shooter multijoueur, Battlefield 2042, développé par son studio Dice. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'on en prend plein les yeux ! En particulier, un des trailers n'est qu'une succession de scènes spectaculaires, d'explosions aux effets plus vrais que nature et de destructions dépeintes avec moult détails (voir la vidéo).

Battlefield 2042, ce sont les blockbusters d'Hollywood qui s'invitent dans nos machines de jeu.

Mais est-ce une si bonne idée ? En choisissant cette voie, EA ne privilégie-t-il pas la forme sur le fond ?

Depuis plusieurs décennies, Hollywood a fait un choix : donner la priorité à la dimension spectaculaire de ses films. Les budget engagés sont énormes ; rien n'est trop beau ou trop couteux pour offrir aux spectateurs du "jamais vu", du "toujours plus". Pour rentabiliser leurs productions hors de prix, les majors du cinéma cherchent à ratisser aussi large que possible en terme d'audience ; les thèmes sont consensuels et les héros sont "lisses". Enfin, pour rentabiliser des investissements aussi importants, les lancements sont accompagnés de couteuses campagnes de communication.

Les résultats commerciaux de leurs blockbusters tendent à leur donner raison : les spectateurs sont au rendez-vous.

Alors, l'industrie du jeu vidéo doit-elle suivre cette voie ?

Les grands éditeurs ont tendance à mettre en place la même stratégie : développer des jeux spectaculaires du point de vue graphique, cibler une audience de joueurs aussi large que possible et lancer leur titres à l'issue d'un blitz commercial d'envergure planétaire. Cette stratégie des triple-A a donc de nombreux points communs avec celle mise en place par les majors du cinéma.

Mais est-ce une bonne voie pour autant ? Ce n'est pas certain, car la stratégie des blockbusters comporte des failles.

Pour commencer, la priorité donnée aux effets spéciaux se fait au détriment de la dimension narrative. Cette surenchère conduit les scénaristes à adapter (construire ? ) leurs scénarios autours de scènes de plus en plus spectaculaires et démesurées. La narration devient alors un simple prétexte pour montrer des scènes de plus en plus inimaginables. Cela a plusieurs conséquences : des scénarios de moins en moins intéressants, car très prévisibles, et des personnages tellement peu crédibles qu'on n'arrive plus à s'identifier à eux.

Hollywood se prive ainsi d'un moyen de satisfaire son public alors que ce dernier a de l'appétence pour de bonnes histoires. La preuve nous vient de la montée en puissance des séries qui misent avant tout sur la dimension narrative. Leur indéniable succès prouve que la narration de qualité est aussi efficace que les super-héros pour attirer les foules.

Ensuite, cette stratégie des blockbusters conduit à appauvrir le contenu des films qui ont de plus en plus tendance à se ressembler, du moins au sein d'un genre donné. Or, la nouveauté est un des moteurs de nos industries du loisir.

On voit donc que cette stratégie des blockbusters à ses limites, mais il y a aussi une raison propre au jeu vidéo qui doit tempérer cette recherche de mimétisme avec l'industrie du cinéma : un bon jeu repose avant tout sur l'expérience que vont y construire les joueurs, les choix, les défis proposés aux joueurs, leurs interactions entre eux, bref, le gameplay.

Le contre-exemple parfait d'une stratégie de design d'un jeu qui ne repose pas sur la dimension "grand spectacle" mais qui connait un immense succès commercial est The Last Of Us - Part II.

Le jeu se focalise sur deux aspects : Un gameplay de combat et d'infiltration très au point et une incroyable dimension narrative. Les lieux visités sont superbement modélisés mais ne sont pas spectaculaires, les joueurs n'affrontent pas de monstres titanesques, les personnages principaux ne sont pas des super-héros ou d'énième membres des forces spéciales, ce sont des gens normaux. Par contre, l'expérience narrative est exceptionnelle car elle vous fait réfléchir. Oui, dans ce jeu, la narration n'est pas un simple prétexte pour justifier les actions du joueur et les lieux visités ; elle conduit le joueur à se poser beaucoup de question sur la violence qu'il commet. En ce sens, The Last Of Us - Part II est un vrai chef d'oeuvre qui n'a pas besoin de débauches d'effets spéciaux pour atteindre son but : être un succès commercial et un succès critique.

Je vous invite d'ailleurs à relire ma chronique publiée sur l'AFJV qui traite de ce thème : "Et si les jeux nous faisaient réfléchir ? "

En conclusion, il ne faut bien entendu pas rejeter en bloc les stratégies inspirés par celles des majors d'Hollywood mais il ne faut pas non plus les imiter aveuglément.


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Publié le 23 juin 2021 par Emmanuel Forsans
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