
Ubisoft devant le Sénat : entre transparence sur les aides publiques et défense du modèle français du jeu vidéo
Le 5 mai 2025, la Commission d'enquête du Sénat sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises recevait Yves Guillemot, président-directeur général d'Ubisoft, accompagné de Marie-Sophie de Waubert, directrice générale des studios, et d'Emmanuel Martin, vice-président chargé des affaires corporatives. L'audition a permis de revenir en détail sur les aides perçues par l'éditeur français, leur impact sur le tissu industriel, mais aussi sur les récentes restructurations internes.
Un fleuron national fortement exportateur
Ubisoft, fondé en 1986 en Bretagne, compte aujourd'hui 17 000 employés dans 40 studios répartis dans 30 pays. Avec un chiffre d'affaires de 2,3 milliards d'euros en 2023, dont 95 % réalisés à l'export, Ubisoft est le premier employeur du secteur vidéoludique en France avec plus de 4000 salariés répartis dans six studios. L'entreprise se présente comme un acteur culturel mondial, valorisant un "soft power à la française" à travers ses franchises (Assassin's Creed, Just Dance, Lapins Crétins...).
Des aides publiques assumées et détaillées
Yves Guillemot a exposé en toute transparence les aides perçues par le groupe pour l'année fiscale 2023-2024 :
- Crédit d'impôt jeu vidéo (CIJV) : 24,1 M€
- Crédit d'impôt recherche : 3,6 M€
- Autres crédits d'impôt (animation, mécénat, international) : 3,2 M€
- Subvention région Nouvelle-Aquitaine : 600 k€
- Allègements de charges sociales : près de 6 M€
Au total, Ubisoft a bénéficié de 38,4 millions d'euros d'aides publiques, une somme stable par rapport aux années précédentes. Le groupe n'a reçu aucune aide de l'Union européenne, mais a indiqué un complément de 300 000 € d'aides à l'apprentissage.
Un dispositif jugé efficace mais menacé
Ubisoft a largement défendu le CIJV, qu'il qualifie d'instrument stratégique. "C'est un levier de compétitivité et de souveraineté culturelle et technologique", a insisté Yves Guillemot. Il a mis en avant les retombées : création d'emplois, essor de studios régionaux, essaimage entrepreneurial, collaboration avec la recherche et les écoles, développement de technologies propriétaires (moteurs Anvil et Snowdrop, IA générative...).
Face aux remises en question du CIJV - notamment par l'Inspection générale des finances - Ubisoft appelle à une évaluation rigoureuse du dispositif avant toute réforme, soulignant son rôle central dans l'attractivité de la France face à la concurrence internationale, notamment du Canada, de Singapour ou prochainement de l'Allemagne.
Des interrogations sur la stratégie d'entreprise
L'audition a aussi été l'occasion pour les sénateurs de questionner Ubisoft sur la création récente d'une nouvelle filiale regroupant trois licences majeures (Assassin's Creed, Far Cry, Rainbow Six) dans laquelle l'actionnaire chinois Tencent a pris 25 % de participation. Yves Guillemot a assuré que la société mère conservait 75 % des parts et restait pleinement décisionnaire. Mais les sénateurs, à l'image de Fabien Gay, ont exprimé leur inquiétude quant à la pérennité du contrôle français sur ces actifs stratégiques.
Tensions sociales et débat sur le télétravail
Enfin, plusieurs questions ont porté sur la situation sociale en interne. Pour la première fois, des mouvements de grève ont eu lieu chez Ubisoft, notamment en lien avec la réduction du télétravail imposée à trois jours sur site. Yves Guillemot a justifié cette décision par des impératifs de cohésion et de performance créative. Les sénateurs ont rappelé que la qualité des conditions de travail fait aussi partie des contreparties attendues à l'octroi d'aides publiques.
Conclusion
Ubisoft s'est présenté comme un acteur économique et culturel stratégique, dont les aides publiques permettent le soutien d'une filière française d'excellence dans un marché mondialisé. Mais à l'heure où l'Etat cherche à rationaliser ses dépenses, cette audition a souligné la nécessité de mieux évaluer l'impact des dispositifs d'aide, tout en exigeant davantage de transparence, de garanties sociales… et de souveraineté.