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Quantic Dream - NetEase : Tout va-t-il bien dans le meilleur des mondes ?

Une publication dans la série "Editorial" - Par Pascal Luban - Game designer & directeur créatif, freelance


Detroit : Become HumanLa prise de contrôle du studio français Quantic Dream par le géant chinois NetEase est la nouvelle de la rentrée. Cette opération semble être une bonne chose pour les deux parties ; vraiment ?

Pour Quantic Dream, un des fleurons de l'industrie française du jeu vidéo, le bénéfice immédiat est conséquent : le studio ne devrait plus avoir de soucis pour financer son développement.

Assurer son financement est une problématique commune à tous les studios indépendants mais elle est particulièrement pesante chez Quantic Dream en raison du type de jeu que le studio développe : des jeux triple-A à fort contenu narratif, donc des jeux très chers à développer mais dont les volumes de vente sont relativement faibles. En effet, ces jeux privilégient la narration par rapport au gameplay. De plus, ils n'offrent pas de mode multijoueur. L'intérêt des joueurs pour ce type de jeu est donc limité. D'ailleurs, aucun gros éditeur ne finance ce type de jeu, à l'exception de Sony.

Et pourtant, les jeux produits par Quantic Dream sont d'une qualité exceptionnelle. Ils offrent une narration de haut vol, leur savoir-faire technique est parmi les meilleurs au monde et les thèmes abordés sont uniques, audacieux et prenants. Heavy Rain et Detroit : Become Human font partis des jeux qui m'ont le plus marqué (et je joue depuis 30 ans).

Quantic Dream est une perle.

Pour NetEase, il s'agit aussi d'une bonne opération. L'éditeur chinois est essentiellement présent dans les jeux d'action ou les RPG freemium. Au travers de Quantic Dream, il entre dans le monde des triple-A, acquiert un savoir-faire rare et surtout, se donne un outil pour poursuivre son développement ; n'oublions pas que la vie des éditeurs de jeu s'est singulièrement compliquée depuis que le gouvernement chinois encadre fortement l'usage des jeux sur son territoire.

Alors, tout va-t-il bien dans le meilleur des monde ?

Il y a un perdant potentiel dans cette histoire : l'indépendance créative.

Quantic Dream est un studio exceptionnel car il est capable, et surtout il a la volonté de traiter de sujets de société. Son dernier titre en est une bonne illustration. Detroit : Become Human traite de la place, dans nos futurs sociétés, des intelligences artificielles. Devrons-nous un jour les considérer comme des entités vivantes, et donc leur donner des droits ?

Mais ce jeu nous sensibilise aussi à un autre sujet : la vie lorsqu'on est traité comme citoyen de seconde zone, voire comme esclave.

Par chance, aucun d'entre nous ne vivons de telles situations et pourtant, elles sont encore aujourd'hui présentes dans de nombreux endroits du globe. Dans Detroit : Become Human, deux des androïdes que le joueur contrôle vivent cette situation et vous la vivez au travers eux ; vous ressentez les humiliations, l'arbitraire, l'injustice de manière beaucoup plus personnelle qu'au cinéma car le jeu crée un lien fort entre vous, le joueur, et ses avatars.

Le jeu vidéo démontre ainsi qu'il peut être un média particulièrement efficace pour faire passer des messages, pour dénoncer des situations, bref, pour avoir une influence sur nos sociétés.

N'oublions jamais que ce sont les écrits de philosophes comme Locke, Kant, Montesquieu, Rousseau et bien entendu, Voltaire, qui ont changé la face du monde.

Les médias, quels qu'ils soient, sont des véhicules à idées.

Quantic Dream est un vrai pionnier, en avance sur son temps, car il crée de vrais chefs-d'oeuvre, des oeuvres de l'esprit dont les auteurs veulent changer notre monde pour le meilleur.

Je pense que vous voyez maintenant où je veux en venir.

Je ne doute pas que l'équipe dirigeante de Quantic Dream ait reçu des assurances concernant son autonomie créative.

Mais…

Pensez-vous que ce studio pourra un jour, dans un jeu, traiter de sujets de société qui nous interpellent comme l'hypersurveillance de nos vies, l'érosion des piliers de la démocratie par des idéologies autoritaires, la liberté des peuples à décider de leur destin ?

Par Pascal Luban - Game designer & directeur créatif, freelance


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Publié le 12 septembre 2022 par Emmanuel Forsans
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