Jeux freemium - N'oublions pas les bases d'un bon game design
Une publication dans la série "Design" - Par Pascal Luban - Game designer & directeur créatif, freelance
Live ops, acquisition de traffic, UX design… les sites spécialisés y consacrent beaucoup de place. Sans remettre en cause l'intérêt de ces techniques, n'oublions pas que ce ne sont pas elles qui rendent un jeu passionnant. Ne serait-il pas temps de remettre le gameplay au centre du jeu ?
Les jeux gratuits posent de vrais défis à leurs développeurs : rétention à court terme, engagement à long, voire très long terme, transformation des joueurs "gratuits", les freeloaders, en joueurs payants, acquisition continue de nouveaux joueurs pour remplacer ceux qui abandonnent le jeu. Cela les a naturellement conduit à mettre en place les techniques que je cite en préambule de cet article mais certains développeurs en ont oublié les bases qui construisent la vraie rétention, celle qui s'appuie sur l'intérêt intrinsèque du core gameplay.
Je vois de plus en plus de jeux qui illustrent cette situation. Leur design est construit autour de ces fonctions, alors que ces dernières ne devraient être conçues que pour supporter le core gameplay.
Cette constatation s'applique essentiellement aux jeux gratuits s'adressant à des audiences casual, mais ce n'est pas parce qu'on s'adresse à une telle audience qu'on ne doit pas leur offrir un gameplay et une expérience de qualité. Prenez Candy Crush Saga, le jeu casual par excellence, offrant une mécanique de jeu faussement simple, ce jeu répond à de nombreux critères d'un bon gameplay : mise en place d'enjeux, diversité des choix, level design constamment renouvelé, dimension compétitive, méta level design, etc.
Et si on s'intéresse à des jeux gratuits ciblant les joueurs midcore comme Clash of Clans, la démonstration est encore plus édifiante : ce jeu continue d'être un des jeux freemium les plus rentable alors que son core gameplay n'a pas changé depuis près de huit ans ! La qualité de son onboarding et les live ops qu'il offre contribuent à son succès mais ne l'ont pas construit.
Se poser les bonnes questions …
Comment savoir si votre jeu est affecté par ce problème ? Une première technique consiste à identifier la part du temps de jeu consacré au farming de ressources par rapport à celui alloué au gameplay principal. Si ce dernier ne représente qu'une petite fraction du temps de jeu, c'est que vous êtes tombé dans le piège !
Une seconde approche consiste à identifier la boucle principale de gameplay de votre jeu, celle pour laquelle les joueurs consacrent beaucoup de temps à récupérer des ressources, celle qui encourage les joueurs à se développer. Posez-vous alors la question suivante : Cette boucle est-elle suffisamment intéressante en elle-même pour que les joueurs jouent des mois à votre jeu ? Si la réponse est négative, il vous sera difficile de pérenniser votre jeu.
… et y apporter de bonnes solutions.
Si vous sentez que votre principale boucle de gameplay est trop faible, comment l'améliorer ou la construire si vous en êtes encore au stade du concept ? La réponse à une telle question mériterait de longues explications mais, pour faire simple, voici les principales stratégies pour construire vos boucles de gameplay.
La construction de défi
C'est sur cette stratégie que repose la très grande majorité des jeux. Ces derniers proposent aux joueurs de surmonter des épreuves, d'interagir avec un environnement, de faire preuve de talents pour surmonter des obstacles et atteindre un objectif. Les joueurs en retirent de la gratification car le défi est difficile, mais surmontable, et valorise leurs talents.
Cette stratégie peut s'appliquer à toutes les audiences, de casual à hardcore, mais elle nécessite un level design susceptible de se renouveler constamment et offrant une progression maîtrisée de sa difficulté.
La personnalisation
Cette stratégie consiste à ne faire reposer l'intérêt du jeu que sur d'innombrables options de personnalisation que les joueurs débloquent en récupérant des ressources ou en s'adonnant à des actions n'offrant aucun défi. C'est cette stratégie qui est à l'oeuvre dans des jeux à succès comme Cityville ou Gardenscape.
Moins efficace que la précédente, cette stratégie est essentiellement adaptée à une audience casual. Elle permet d'offrir une expérience de jeu sans aucun défi ou compétition. Elle ne fonctionne dans le long terme que si les options de personnalisation sont très diversifiées et régulièrement enrichies avec du nouveau contenu.
La narration
Cette dernière met en application un adage bien connu de nombreux game designer : "Les graphismes attirent les joueurs, le gameplay les retient et l'histoire les conduit à terminer le jeu". Les mécanismes narratifs ont justement été conçus pour "garder" leur audience. Une narration bien emmenée peut donner une durée de vie sans fin à un jeu si ce dernier est construit autours d'épisodes. Murder In The Alps ou Small Town Murders montrent que l'on peut habilement utiliser la narration pour redonner de l'intérêt à des jeux de type objets cachés ou match-3.
Cette stratégie peut être très efficace et - surtout - peut s'appliquer à de nombreux genres visant des audiences diversifiées. Malheureusement, elle est souvent galvaudée en raison de sa mauvaise implémentation ; on ne s'improvise pas scénariste.
La compétition
Dérivée de la stratégie de construction de défi, la compétition ne repose que sur l'affrontement entre joueurs. Elle évite le piège du nombre fini de niveaux puisque les affrontements se déroulent tout le temps dans les mêmes environnements. Elle génère des émotions très fortes, la griserie d'avoir défait un adversaire humain et l'amertume d'avoir perdu !
Très efficace pour développer de la rétention à long terme, elle s'adresse plutôt à des audiences midcore et hardcore. Clash of Clans ou World of Tanks en sont deux très bons exemples dont le succès ne se dément pas.