"Business et politique ne doivent pas se mélanger". Vraiment ?
Par Pascal Luban - Game designer & creative director, freelance
Un responsable d'un des plus gros éditeurs au monde a récemment affirmé qu'il ne faut pas promouvoir la moindre opinion politique dans un jeu car c'est mauvais pour les affaires.
Il est vrai que l'affirmation d'une opinion, quelle quel soit, peut conduire à s'aliéner la fraction des joueurs qui ne partagent votre point de vue. Cette constatation est peut être valable du strict point de vue commercial mais l'est-elle du point de vue créatif ? L'est-elle du point de vue éthique et civique ?
Pour le premier point, je rappellerai que de nombreux chefs d'oeuvre en littérature, en musique et au cinéma se sont construits autours de l'affirmation de valeurs. Charles Aznavour n'aurait pas écrit un de ses plus grands succès, Comme Ils Disent, s'il avait craint de froisser la majorité "bien-pensante" de son époque. C'est justement parce que cet artiste a écrit une chanson au thème polémique dans les années 70, qu'elle a eu un tel impact, Loin d'avoir limité les ventes, l'audace de son auteur en a fait un immense succès commercial. Une oeuvre, pour être remarquable, doit déranger, surprendre, faire parler d'elle et émouvoir.
Pour le second point, la dimension éthique et civique d'un tel choix, nous devons être conscient de l'impact du contenu de nos jeux. Ces derniers sont de vrais media car ils véhiculent des valeurs, des idées, des comportements, des modèles de société. Nous disposons donc d'un moyen pour promouvoir nos valeurs, par exemple en accordant plus de place aux minorités et à la diversité dans nos jeux.
De nombreux messages peuvent ainsi être véhiculés par un jeu : L'importance de garantir la liberté de la presse, la tolérance envers les communautés qui nous sont étrangères, les dangers de la corruption, les alternatives à la violence dans le règlement des conflits, etc.
Nous ne devons pas oublier qu'avant d'être développeurs, éditeurs, distributeurs ou membres des media, nous sommes avant tout des citoyens. Pour certains d'entre nous, nous avons des enfants et nous voulons leur laisser un monde meilleur, certainement pas un monde vérolé par l'obscurantisme, l'intolérance, le repli sur soi, l'absence de liberté et l'arbitraire. Depuis 1789, le monde occidental, et une bonne partie du reste de l'humanité, se sont battus pour la défense de ces valeurs. Soyons lucide, ce combat a connu beaucoup de retours en arrière et de trahisons, mais si nous comparons notre situation à celles de nos ancêtres, force est de constater que nous avons progressé dans la bonne direction.
Or, le monde actuel est agité par des courants de pensée, des idéologies qui visent à remettre en question ces acquis. Devons-nous laisser agir les personnalités et les organisations dont nous ne partageons pas les valeurs alors que nous disposons d'un outil de communication ?
Chacun répondra à cette question en son âme et conscience et agira, ou non, en fonction de ses moyens mais ma conclusion est que l'esprit de création, et la liberté qui va avec, ne doivent pas être bridés car ce sont eux qui nous font progresser.