Consommation culturelle en ligne des 15-24 ans
Une propension à payer supérieure aux autres consommateurs
Ultra-connectés à Internet, fortement consommateurs de biens culturels dématérialisés, les études d'usages récentes menées par l'Hadopi confirment les tendances déjà bien connues concernant les pratiques numériques des Digital natives. Leur rapport à la licéité et leur consommation révèlent un tableau plus complexe. Très habile en ligne, la population des 15-24 ans se montre également très versatile dans ses usages culturels dématérialisés : gratuits et payants, licites et illicites, les jeunes internautes recourent à une variété de modes d'accès aux oeuvres. Exigeants, ils évaluent le rapport coût / bénéfice des offres légales et acceptent de payer dès qu'ils en ont les moyens - souvent à partir de 20-22 ans -, pour accéder à des services par abonnement qu'ils estiment facilement accessibles et à forte valeur ajoutée.
Une génération ultra-connectée, ultra-consommatrice
Beaucoup plus connectés que leurs aînés (85 % d'entre eux se connectent plusieurs fois par jour à Internet contre 62 % pour l'ensemble des internautes de 25 ans et plus), les 15-24 ans ont fait du smartphone leur terminal de prédilection : 88 % d'entre eux en possèdent un, soit 12 points de plus que les individus de 25 ans et plus. Fortement consommateurs de biens culturels en ligne dans leur ensemble (97 % sont consommateurs de ces biens, contre 73 % pour les plus de 25 ans), ils privilégient plus particulièrement la musique (87 % de consommation en ligne), les films (83 %) et les séries TV (78 %). Leur consommation est, de plus, particulièrement intensive : les trois quarts d'entre eux consomment de la musique au moins une fois par semaine (55 % de manière quotidienne) et près des deux-tiers pour les films et séries TV, soit des proportions deux fois supérieures à celles de leurs aînés.
Consommation par bien culturel dématérialisé et fréquence de consommation - base : internautes de 15 ans et plus (baromètre des usages, septembre 2018)
Des produits culturels par tous les moyens
Des pratiques illicites décomplexées
Cette forte consommation se traduit par un recours tant aux offres légales qu'aux contenus illicites : pragmatique, ce jeune public privilégie avant tout l'accès aux oeuvres, quel qu'en soit le moyen. Ainsi, 70 % d'entre eux déclarent avoir recours à des sites illicites, un taux élevé comparé aux 26 % de profils illicites parmi les internautes de 25 ans et plus.
Plus précisément, un tiers (34 %) des 15-24 ans disent avoir des usages illicites uniquement occasionnels, se rendant généralement sur des sites légaux et parfois seulement sur des sites illicites. De plus, 22 % équilibrent leurs pratiques entre sites licites et illicites : plus de la moitié des 15-24 ans ont recours aux sites légaux dans leurs usages quotidiens.
Figure : Légalité de la consommation - base : internautes de 15 ans et plus (baromètre des usages, septembre 2018)
Cette mixité des pratiques des 15-24 ans s'explique par deux raisons. D'une part, ils font preuve d'une attitude décomplexée à l'égard des usages illicites : 52 % des 15-24 ans ayant des usages illicites estiment ne voler personne en accédant à des biens de manière illégale (contre 44 % pour leurs aînés), et seuls 41 % citent la légalité comme critère de choix d'une plateforme de biens culturels (contre 53 % des internautes de 25 ans et plus).
D'autre part, la variété des situations de vie de 15 à 24 ans induit des attitudes et comportements différents. Pour les plus jeunes, de 15-18 ans, la pratique de l'illicite correspond à une posture de test et d'expérimentation, cohérente avec une attitude de confrontation à l'autorité, qu'elle soit parentale ou qu'il s'agisse de la loi, propre à leur âge ; à l'inverse, les jeunes adultes de 19 à 24 ans bénéficient d'une plus grande autonomie financière et revendiquent un statut d'individus matures et responsables. Dès lors, la licéité peut correspondre pour les 19-24 ans, et sous certaines conditions, à un choix réfléchi et valorisant.
Des consommateurs agiles et habiles
Qu'il s'agisse du streaming ou du téléchargement (pratiqués respectivement par 96 % et 79 % d'entre eux), les consommateurs de 15-24 ans (musique, films ou séries) utilisent un peu plus, mais sur tout plus fréquemment, ces différents protocoles d'accès, que leurs aînés : 76 % des 15-24 ans pratiquent le streaming au moins une fois par semaine, contre 55 % pour les 25 ans et plus. Seule leur pratique du pairà- pair est comparable à la moyenne du reste de la population (35 % pour la musique, les films et les séries TV).
Cette agilité des Digital Natives se retrouve dans leur recours aux pratiques illicites émergentes ou plus confidentielles. Près des trois quarts (73 %) d'entre eux utilisent ainsi les convertisseurs de vidéos en streaming (musique, films, séries) en fichiers à télécharger, contre 39% pour les 25 ans et plus. Ils sont également surreprésentés dans l'utilisation de certaines applications de diffusion de contenus télévisuels telles que Mobdro (10 % d'utilisation contre 5 % pour leurs aînés).
Pour ces jeunes avides de mobilité, le téléphone portable représente un terminal privilégié pour la consommation de biens culturels dématérialisés, notamment pour la musique (82 % des consommateurs de musique de 15-24 ans utilisent leur smartphone pour en écouter contre 50 % pour les 25 ans et plus), et dans une moindre mesure pour les films (25 % des consommateurs de 15-24 ans contre 13 % pour les 25 ans et plus) et pour les séries (28 % contre 16%).
À l'aise en ligne, la complexité technique d'accès aux oeuvres ne constitue pas un frein pour cette population. Ainsi, 77 % d'entre eux estiment "facile" l'accès à des musiques, films, séries de manière illicite, contre 58 % pour les 25 ans et plus. Ils connaissent et acceptent davantage les risques auxquels ils peuvent être confrontés sur les plateformes illicites (pops-ups publicitaires invasifs, virus, risques légaux, etc.). De même, la fermeture d'un site illégal ne constitue pas pour eux un réel obstacle à leur consommation : ils en connaissent un autre ou se renseignent auprès de leur entourage de la même génération afin d'obtenir de nouveaux noms de sites ou plateformes.
Même si c'est compliqué, qu'il faut cliquer sur pas mal de liens avant d'arriver sur le film, ça ne me dérange pas. C'est souvent ce qu'il se passe.
(22-24 ans, Tours)
Les différents terminaux utilisés selon le bien culturel - base : consommateurs de chaque bien de 15 ans et plus (stratégies d'accès, avril 2018)
Une consommation licite sous conditions
Valorisation des "petits" artistes La conformité avec la loi (citée par 46 % des 15-24 ans) et le respect des auteurs et des créateurs (42 %) comptent parmi les principales motivations exprimées par les jeunes internautes pour consommer de manière légale, comme pour l'ensemble des internautes. Néanmoins, les études qualitatives menées auprès de ces populations font ressortir une vision dichotomique de la création de la part de ce jeune public : ils valorisent la création et sont prêts à participer au financement de celle-ci, mais uniquement au travers des "petits artistes" qui peinent à vivre de leur art, tandis qu'à l'inverse, ils rejettent les grosses productions et le "système" de la création qui leur semblent réaliser des profits très importants. Ils valorisent au contraire une "économie de l'attention" qui rémunère les artistes selon leur popularité, sur les plateformes telles que YouTube.
Je n'ai pas de sensibilité pour les droits d'auteurs des films et séries qui sont des productions très rentables. Par contre j'ai une sensibilité plus forte pour la musique où c'est plus basé sur de l'indépendant, avec des gens qui produisent eux-mêmes.
(19-21 ans, Tours)
Une offre accessible et des services à forte valeur ajoutée
Les jeunes internautes expriment peu de freins aux pratiques illicites. Pour autant, si la gratuité est, plus encore pour les 15-24 ans que pour leurs aînés, le premier critère de choix d'un site (pour 70 % d'entre eux contre 62 % pour les 25 ans et plus), la recherche de confort semble prendre de plus en plus d'importance avec le développement des offres légales et constituer une incitation forte à consommer légalement, notamment auprès des 19-24 ans.
Alors que les plus jeunes d'entre eux (les 15-18 ans), désireux de s'émanciper de l'autorité parentale, développent une culture de la "débrouille" et du "consommer malin" qui passe par l'obtention gratuite des oeuvres, qu'elle soit licite ou illicite, l'intérêt pour les offres payantes est grandissant au fur et à mesure qu'ils avancent en âge et prennent davantage d'autonomie financière. Les 15-24 ans citent ainsi plus que l'ensemble les motifs liés à la qualité de l'offre légale parmi les raisons pour consommer légalement (42 % contre 29 % pour leurs aînés), et disposent d'une propension à payer pour les biens culturels dématérialisés élevée.
C'est de notre âge de transgresser, on veut pouvoir faire ce qu'on veut, quand on veut, essayer les choses par nos propres moyens, être détaché des parents. Découvrir par soi-même, c'est aussi expérimenter ce qui est illégal. C'est comme les enfants, tant qu'on ne se fait pas choper, on continue.
(15-18 ans, Tours)
Une propension à payer plus importante que le reste des Français, les abonnements plébiscités
La nouvelle génération d'internautes semble accepter l'idée de payer pour des contenus : 58 % des 15-24 ans déclarent consommer au moins un type de bien culturel dématérialisé de manière payante, soit une proportion largement supérieure aux 25 ans et plus (33 %), même si les 15-24 ans dépensent en moyenne le même montant mensuel que leurs aînés (11,40 € par mois) pour leur consommation culturelle dématérialisée.
Quand on grandit, 10 euros par-ci par-là, ce n'est pas grave, surtout qu'on a l'assurance d'avoir la série sous-titrée, HD, qui sort le jour même. Ce n'est pas hors de prix.
(22-24 ans, Paris)
Les offres par abonnement, en particulier, sont plébiscitées par les Digital Natives : 61 % d'entre eux accèdent à au moins un abonnement (à leur nom ou à celui d'une personne de leur foyer), contre 42 % des 25 ans et plus. Ces offres, par leur facilité d'utilisation, leur ergonomie et les services additionnels qu'elles proposent (playlists, synchronisation des contenus, consommation hors ligne, etc.), s'imposent progressivement comme les standards de la consommation de biens culturels dématérialisés. Ces jeunes internautes peuvent, de manière néanmoins plus ou moins autorisée, partager le coût de l'abonnement à plusieurs ou profiter des codes d'accès de leur entourage afin d'optimiser la dépense : 35 % des consommateurs de biens culturels dématérialisés de 15-24 ans accèdent à au moins un abonnement payant au nom d'une personne de leur entourage, contre 13 % de leurs aînés de 25 ans et plus.
Je regarde les albums que mes amis écoutent sur Spotify et je les ajoute à ma playlist. Spotify nous propose aussi des albums qui peuvent nous plaire en fonction de notre profil, je découvre de nouveaux morceaux.
(22-24 ans, Paris)
Accès aux abonnements - base : internautes de 15 ans et plus (baromètre des usages, septembre 2018)
Contrairement à certaines idées reçues, la question du paiement des jeunes internautes n'est plus un frein insurmontable aujourd'hui : les 15-24 ans sont disposés à payer pour des contenus légaux, à condition que le contenu réponde à leurs attentes et que le prix de l'offre reste abordable pour eux (les offres "étudiants" à prix réduit vont dans ce sens).
Si la sensibilisation des jeunes internautes (notamment de 15 à 18 ans) aux enjeux de la création à l'ère numérique et notamment à la notion de droit d'auteur semble nécessaire pour lutter contre le développement des pratiques illicites, une offre légale performante et accessible constitue un levier puissant pour une consommation licite plus fréquente.
Pour les films et les séries je n'irai plus [sur les sites illicites], parce qu'il y a Netflix.
(17 ans)
Je suis abonné à Netflix et Spotify et sinon je télécharge illégalement ce que je ne trouve pas.
(focus groupe)
Enseignements clés
- 97 % des 15-24 ans consomment des biens culturels dématérialisés et à des niveaux de fréquence élevés.
- Ils ont des pratiques illicites massives (70 % des 15-24 ans) et décomplexées.
- Ils consomment prioritairement de manière gratuite, mais ont une propension à payer supérieure aux autres internautes : 58 % d'entre eux consomment au moins un type de bien de manière payante contre 33 % pour leurs aînés.
- 61 % des 15-24 ans accèdent à au moins un abonnement payant, contre 42 % des 25 ans et plus. C'est en particulier le cas pour les offres de vidéo à la demande par abonnement (42 % des 15-24 ans y ont accès contre 19 % des 25 ans et plus).
- Le confort d'utilisation et la qualité des services offerts constituent des atouts attractifs de l'offre légale, en particulier pour les jeunes adultes (20-24 ans), avec davantage de moyens financiers.