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Créer son jeu : le parcours du combattant des solo-dev et des petites équipes

Par Manuel Ruiz Dupont - Gérant de pixelacademia


Ce texte a pour seul but d'aborder les problématiques, souvent plus psychologiques que techniques, que l'on rencontre lorsqu'on développe un jeu seul ou en petit groupe. Il s'adresse principalement à un public disposant déjà de compétences techniques, mais peut aussi convenir à des débutants souhaitant créer leur propre jeu.

Avant tout, qu'est-ce qu'un jeu vidéo ? Je vais partir d'un postulat arbitraire : c'est une oeuvre dont la durée de vie est supérieure ou égale à 3 heures (ce qui correspond aux attentes d'une plateforme comme Steam), et dont l'expérience de jeu est totalement maîtrisée par son ou ses auteurs. En d'autres termes : un jeu sans bug bloquant.

À partir de ce postulat, un jeu peut être un action-aventure, un jeu à message, une expérience interactive, un jeu de gestion, ou même un simple jeu à un bouton sur téléphone.

Préproduction

Je dois aussi aborder rapidement la phase de préproduction, qui est sans doute la plus importante lorsqu'on souhaite développer un jeu. Elle est pourtant souvent négligée, car les moteurs actuels offrent une telle facilité d'accès qu'il est tentant de se lancer directement dans la programmation ou la création d'assets, sans vraiment savoir où l'on va. Cette approche peut sembler motivante au départ : on obtient rapidement des résultats visibles, on a l'impression de progresser, et cela peut même donner l'illusion que le projet avance à grands pas.

Cependant, cette motivation initiale repose sur des acquis fragiles. À un moment ou à un autre, elle finit presque toujours par s'effriter : les limites techniques apparaissent, les incohérences de conception s'accumulent, et les idées qui semblaient claires au départ deviennent confuses. C'est souvent à ce stade que survient une forte envie d'abandonner.

La préproduction, elle, agit comme une fondation solide. Elle permet de définir précisément le concept du jeu, ses mécaniques principales, son identité visuelle, son univers narratif et même un scope réaliste. En prenant le temps de clarifier ces éléments, vous réduisez considérablement la fatigue et la frustration qui surviennent inévitablement au cours du développement. La différence est simple : si vous avez fait la préproduction, vous serez moins fatigué et vos idées seront plus claires même si votre motivation chute fortement

Arrêter ou continuer le développement du jeu ?

Vous arrivez à ce moment où vous êtes fatigué de réitérer sans cesse, et vous constatez que vous auriez dû être plus méthodique dans l'exécution des tâches, et surtout plus pragmatique. Ce passage souvent après 4 ou 5 mois de développement. Que vous développiez un jeu vidéo, écriviez un roman ou composiez un album, ce moment est récurrent dans toute forme de création.

Pour contrer ce moment, je recommande - du moins au début - de ne pas développer un jeu nécessitant plus de six mois de production. Cela permet de mieux gérer cette étape, car vous êtes alors plus proches de la fin. Mais surtout, cela vous donne l'occasion d'acquérir de l'expérience sur un projet plus modeste au démarrage de votre démarche créative, et de gagner en confiance et en expérience pour la suite.

Ceci dit une technique qui fonctionne bien consiste à dissocier en deux les éléments qui vous bloquent : les éléments psychologiques et les éléments techniques.

Difficultés techniques

Les éléments techniques qui vous bloquent peuvent souvent être contournés assez facilement. Vous pouvez, par exemple, remplacer la mécanique prévue par une alternative plus simple qui procure une expérience de jeu similaire. Gardez à l'esprit que le futur joueur n'aura jamais connaissance de vos intentions initiales : si vous parvenez à recréer le même effet de manière plus simple, il ne remarquera pas la différence. Dans ce cas, inutile de vous inquiéter !

En revanche, si la difficulté concerne la mécanique principale du jeu et que vous n'arrivez pas à la mettre en place après un certain temps, deux options s'offrent à vous : demander de l'aide - ce qui est tout à fait normal - ou admettre qu'il s'agit d'un faux départ et revoir le concept de votre jeu.

Un autre aspect important dans le code qui peut vous épuiser totalement est de chercher l'esthétique parfaite du code ou de vouloir créer le code qui fonctionne dans tous les cas. À mon avis, ces deux éléments sont une perte de temps. Votre but premier est de créer un code qui fonctionne, qui est optimisé et facilement testable. Tout le reste n'est que superflu.

Dans tous les cas, si vous arrêtez pour des problèmes techniques, admettez-le et dites-le à voix haute. Passez ensuite à autre chose. Ne laissez jamais un projet "à finir plus tard", car cela va seulement vous rajouter une charge mentale et vous frustrer pour la suite.

Difficultés psychologiques

Pour moi, ce sont les aspects psychologiques qui causent 80 % des abandons de projets de jeu.

Le premier problème lorsqu'on travaille seul est de trouver la motivation. Cette difficulté naît de la "montagne" qui se dresse devant vous : un projet vaste et complexe dont le chemin à suivre n'est pas encore visible. Chaque étape semble longue, et l'incertitude peut rapidement décourager.

Prenez le temps de bien réfléchir à votre projet : si vous partez de zéro, il vous faudra probablement plusieurs mois pour le mener à bien. Priorisez donc les jeux simples, qui offrent une stimulation rapide grâce à des résultats tangibles.

Une technique efficace consiste à concevoir son jeu par phases de développement. Prenons un exemple simple :

  • Phase 1 : un menu, une sauvegarde basique, deux zombies et une arme.
  • Phase 2 : quatre zombies, trois armes et deux décors supplémentaires.
  • Phase 3 : Crafting

Et ainsi de suite.

Bien sûr, cette méthode peut paraître empirique, mais si vous gérez correctement les étapes, vous avancerez solidement et obtiendrez rapidement des démos jouables pour effectuer des playtests. Gardez en tête que J.R.R. Tolkien a mis douze ans à écrire Le Seigneur des Anneaux alors soyez indulgent avec vous-même, tout en restant honnête sur vos progrès.

Si vous avez déjà commencé votre jeu et que vous êtes perdus, rappelez-vous pourquoi vous le faites, et laissez cette motivation guider vos actions.

Différents types de motivation

Pour créer ou pour le fun

Créer un jeu "juste pour le fun" peut être problématique, car toute idée peut sembler bonne. Si vous rencontrez des difficultés, supprimez tous les éléments qui ne fonctionnent pas et concentrez-vous sur le level design et les principes forts de votre jeu.
Un jeu, avant tout, c'est du level design pour le joueur, rarement un game design que vous jugerez élégant. Concentrez-vous sur les actions du joueur, ludiques, qui fonctionnent et se répondent.

Pour dire quelque chose

Si votre intention première est de transmettre un message, concentrez-vous uniquement sur ce message. Inutile de le noyer dans du "fun" ou une complexité inutile. Le joueur doit comprendre le message, rien de plus. Peu importe si le jeu n'est pas fun.

Pour gagner de l'argent

C'est l'objectif le plus difficile à atteindre. Non seulement vous devez produire un jeu avec un niveau de finition extrêmement élevé, mais vous devez aussi consacrer autant de temps à sa promotion qu'à son développement. En cas de blocage, concentrez-vous sur les éléments les plus addictifs de votre jeu.

Pour créer votre book

Si votre objectif est de constituer un portfolio, concentrez-vous sur l'aspect que vous souhaitez mettre en avant.
Si vous êtes environment artist, réalisez des environnements de très grande qualité, bien optimisés, et présentez-les sur ArtStation en détaillant votre démarche.
Si vous êtes game designer, mettez l'accent sur des mécaniques de jeu solides et prenez le temps de rédiger des documents expliquant la pertinence de vos choix (à joindre à votre CV).
Ce document est extrêmement important, car il valorise vos compétences de game designer.

Vous l'avez compris : le plus important est de vous concentrer sur la raison qui vous a poussé à développer le jeu, et de mettre de côté tous les éléments, même pertinents, qui vous empêchent d'avancer sereinement.

Bien entendu, si le contexte a changé depuis le début du projet (par exemple si vous n'avez plus le temps à y consacrer), je vous conseille - comme toujours - de le formuler clairement à voix haute : "J'arrête ce projet". Cela vous évitera de rester enfermé dans un statu quo silencieux et parfois douloureux.

Motivation intacte, mais le jeu ne fonctionne pas

On arrive souvent à cette conclusion quand on se rend compte qu'on n'arrivera pas à maintenir l'intérêt du jeu sur plusieurs heures car le concept du jeu est "beau", mais qu'il n'a en réalité pas de véritable intérêt en termes de level design.

Cela peut sembler étrange, mais ce cas de figure est assez rare. En réalité, on en vient souvent à cette conclusion lorsqu'une nouvelle idée surgit, ou quand on entre dans la phase laborieuse du développement et qu'on n'a plus envie de continuer. On veut alors passer à autre chose et expérimenter de nouvelles pistes.

Je me suis déjà retrouvé souvent dans cette situation. Et le mieux, c'est encore de cesser le développement sans culpabilité, et surtout de prendre le temps, la prochaine fois, de trouver une idée qui vous portera sur plusieurs mois. Car au final, pour moi, l'idée du jeu importe peu : ce qui compte le plus, c'est qu'elle vous stimule dans la durée.

Sortir la tronçonneuse ?

Si malgré tout vous voulez terminer votre jeu, il existe une batterie d'outils conceptuels en game design qui sont très efficaces. Deux des plus utiles sont : le Cutting features (couper des fonctionnalités ou communément appeler sortir la tronçonneuse) et le rythme. Ils vous aident toujours à finir un jeu plus rapidement, tout en préservant les principes forts de votre projet.

Le rythme

Le rythme est un concept qui régit presque l'ensemble du jeu. Vous pouvez vous appuyer dessus pour créer le level design sans avoir besoin de centaines de mécaniques. L'idée est simple : variez tout ce que vous pouvez varier - les zones de jeu (grande, petite..), la musique, les éclairages, l'intensité des phases de jeu et bien sûr, de jouer davantage sur la variance des éléments de game play que sur leur variété.

En revoyant votre LD avec ce principe, vous pouvez au minimum augmenter la qualité du jeu et, au maximum, rallonger sa durée de vie sans rien produire en plus (enfin si, du LD, mais pas de nouveaux assets, pas de code, pas de FX).

Cutting features

Rajouter ou enlever ? Enlever est souvent un gain de temps. Mais quoi enlever ? Je me permets un aparté : lors des entretiens d'embauche pour un poste de game designer ou de level designer, on demande souvent quels éléments vous ajouteriez dans tel ou tel jeu. Une bonne réponse consiste à dire : tout élément qui augmente considérablement la durée de vie du jeu, sans en trahir l'esprit. Bien sûr, il faut que cela reste ludique et qu'au minimum cela apporte une expérience de jeu différente ou intéressante. Tout cela pour dire que c'est ce que l'on doit garder en tête quand on sort la tronçonneuse : enlever tout ce qui ne fonctionne pas et qui n'apporte pas un temps de jeu conséquent

Enfin, que vous arriviez ou non à terminer le développement de votre jeu, je vous conseille de réaliser un post-mortem. Expliquez rapidement les éléments qui ont bien ou mal fonctionné pendant le développement, et pourquoi. Cela vous permettra de mettre en évidence vos points forts et vos points faibles.

Pour résumer, j'aurais pu aborder ce sujet de manière plus technique, en vous présentant des listes de logiciels de gestion de production, en évoquant une organisation agile avec des sprints, ou encore en détaillant les différences entre Unreal et Unity, comme celles qui existent entre un PC et un téléphone. Mais, selon moi, tous ces éléments restent secondaires.

Si vous avez envie de créer un jeu, ou si vous en développez déjà un et que vous rencontrez des difficultés, c'est normal : chacun de vos choix engendrera forcément des problèmes. À vous de décider lesquels vous préférez affronter.

Manuel Ruiz Dupont On pourrait croire que ce texte présente le développement d'un jeu comme une simple succession de règles pseudo-mathématiques et psychologiques, donnant l'impression que tout est facile à réaliser. Pourtant, oui, créer un jeu peut réellement être "simple", à condition de trouver un sujet qui vous inspire, de rester humble et surtout de ne pas vous comparer aux autres. Concentrez-vous sur vous-même. Et surtout, assumez votre passion.

Comme le dit cette maxime : quand on traverse le désert, la seule chose à faire est de continuer à avancer.

Manuel Ruiz Dupont
Gérant - pixelacademia.com

Publié le 26 septembre 2025 par Emmanuel Forsans
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