L'e-sport en France, un marché en phase de structuration
3 questions à David Lolo, auteur de l'étude "La structuration du marché de l'e-sport à l'horizon 2022 - Quels leviers et perspectives de croissance pour les acteurs de l'écosystème ?"
Comment la crise du Covid-19 va-t-elle peser sur le marché français de l'e-sport ?
Les nombreuses compétitions d'e-sport prévues au printemps 2020 ont dû être annulées ou reportées en raison de la crise sanitaire. C'est le cas de la Gamers Assembly de Poitiers et de la Dreamhack à Tours, parmi les grands temps forts annuels de l'e-sport. Les rencontres organisées dans le cadre de tournois ont, elles aussi, été impactées. Les phases finales de la Ligue Française de League of Legends (LFL), initialement prévues dans l'Esport Arena dans les Hauts-de-Seine, ont finalement été jouées en ligne. Il en va de même pour l'e-Ligue 1 (compétition annuelle sur FIFA 20) qui, suspendue pendant deux mois, a repris en juin dans un format 100% en ligne. De son côté, Activision Blizzard Esports a annulé l'ensemble des événements prévus en mars et avril sur Overwatch League. Confrontés eux aussi aux reports de leurs activités événementielles, de nombreux organisateurs de compétitions sportives ont basculé celles-ci en ligne. La Fédération française de tennis, qui a dû reporter le tournoi de Roland-Garros, a ainsi organisé une compétition e-sportive sur le jeu Tennis World Tour en juin. En réalité, la crise du Covid-19 va se solder par un repli d'environ 9% des recettes de l'e-sport en France en 2020, selon notre prévision. Cette baisse tient d'une part à l'arrêt contraint des compétitions physiques et à la chute du marché publicitaire. Avec la reprise complète des activités événementielles, le marché français rebondira ensuite de 19% en 2021 (à 25 millions d'euros) et de 20% en 2022 (à30 millions), d'après notre scénario. La croissance des recettes de l'e-sport en France sera toutefois encore entravée par l'essor des ad-blockers, la concurrence des clubs professionnels étrangers et des compétitions réalisées à l'étranger.
Comment est structuré le marché tricolore ?
La France compte environ 200 clubs d'e-sport amateurs, semi-professionnels et professionnels. Si les plus grands clubs - comme PSG Esports, Team Vitality et Gamers Origin - sont gérés par des structures professionnelles, le marché hexagonal compte un nombre important d'associations qui organisent des compétitions de petite envergure, à l'échelle d'un département notamment. Seules quelques associations assurent l'organisation de tournois nationaux, comme l'association Futurolan à l'origine de la Gamers Assembly. Du reste, le marché se compose d'un tissu d'entreprises diverses (spécialistes, agences d'événementiel, gaming houses) positionnées elles aussi sur l'organisation d'événements. Quelques organisateurs d'envergure régionale, voire mondiale, sont d'ailleurs présents en France comme DreamHack et ESL, deux filiales du Suédois Modern Times Group. Si la grande majorité des opérateurs sont des spécialistes du sport électronique, certains organisateurs sont issus d'autres domaines d'activité. C'est le cas du Groupe Barrière, premier gestionnaire de casinos en France, qui organise une tournée nationale d'e-sport (produite par Webedia). L'écosystème français de l'e-sport accueille également un nombre croissant d'agences de communication spécialisées dans l'e-sport, lancées pour la majorité d'entre elles ces trois dernières années, dans le sillage de la structuration du marché autour des annonceurs. Si les paris e-sportifs payants sont pour l'heure interdits en France, les entreprises de paris en ligne ont intégré l'écosystème du marché dans l'espoir d'une éventuelle évolution réglementaire. En novembre 2017, la FDJ a ainsi lancé son site de paris e-sportifs gratuits. Depuis 2017, la FDJ et le PMU organisent également des événements e-sportifs et s'adressent notamment aux équipes amateurs et au grand public. Le PMU se positionne pour sa part sur la fourniture de données de l'e-sport (statistiques sur les joueurs et les clubs).
L'écosystème français du sport électronique peut-il à terme à jouer un rôle mondial ?
L'écosystème français du sport électronique entre dans une phase de structuration et s'inspire de plus en plus des codes des sports traditionnels. Je pense ne particulier à la mise en place de tournois de grande envergure ou encore à la remise de trophées et de prix. Cela dit, les modèles d'affaires des opérateurs de l'e-sport, soumis aux aléas du marché publicitaire, sont encore fragiles comme l'a montré la crise du Covid-19. Et les recettes ne suffisent pas pour couvrir l'inflation des frais des opérateurs (salaires des joueurs, droits de diffusion, investissements, etc.). Pour financer leur développement, les structures tricolores d'e-sport peuvent certes compter sur le soutien de nombreux investisseurs, notamment étrangers. Ces investissements reflètent l'attractivité de l'écosystème français et nourrissent en retour de grands espoirs des pouvoirs publics. La ville de Paris cherche ainsi à se hisser au rang de capitale mondiale de l'e-sport. C'est un objectif pour le moins ambitieux au regard du poids encore marginal du marché français (2,3% du marché mondial en 2019).