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Les entreprises franciliennes du jeu vidéo, compétentes et dynamiques mais fragiles sur un marché mondialisé

Une étude du CROCIS (Centre Régional d'Observation du Commerce de l'Industrie et des Services)


Au croisement de la culture et des nouvelles technologies, l'industrie du jeu vidéo est passée en quelques années d'une cible de passionnés à un succès auprès du très grand public. Elle trouve en Ile-de-France un terreau favorable, avec des entreprises dynamiques et créatives, et des professionnels très compétents. Mais ces petites structures sont souvent fragiles, face à une concurrence mondiale très forte.

Le jeu vidéo, une spécialité francilienne

Une équipe du studio Dontnod EntertainementL'Ile-de-France est un territoire extrêmement spécialisé dans le jeu vidéo. Fin 2011, on recense en Ile-de-France 120 établissements classés par l'INSEE dans l'activité "Edition de jeux électroniques", qui emploient 1 240 personnes, soit 81 % des effectifs français du secteur. Mais toutes les entreprises du jeu vidéo ne sont pas répertoriées dans cette activité, certaines sont classées notamment dans les activités de programmation informatique, web, ou autres. Le total des établissements du jeu vidéo en Ile-de-France serait plus proche de 200. Ce sont essentiellement des studios de développement et des éditeurs. Schématiquement, les fonctions sont ainsi définies : les éditeurs produisent et commercialisent les jeux, iIs financent leur développement, puis les mettent sur le marché. Certains éditeurs possèdent leur propre studio de développement. Les studios de développement ou de création réalisent les jeux vidéo. Mais cette séparation tend désormais à s'effacer car si, pendant longtemps, les studios travaillaient pour un éditeur, aujourd'hui ils se lancent de plus en plus souvent dans une activité d'édition en propre. Trois départements sont des zones d'implantation privilégiées des emplois du jeu vidéo : les Yvelines, qui concentrent à elles seules près de la moitié des effectifs (48 %), Paris (22 %) et les Hauts-de-Seine (17 %). C'est notamment la société Activision Blizzard, basée à Vélizy dans les Yvelines, qui explique les effectifs importants de jeux électroniques dans ce département. Elle commercialise notamment le célèbre jeu World of Warcraft.

Les années 90 ont vu la création d'un grand nombre de sociétés, nés de l'engouement autour des jeux vidéo et de la présence de nombreux passionnés qui ont créé leur structure. Le début des années 2000 a été marqué par une crise majeure avec l'éclatement de la bulle internet : de nombreux studios ont fermé, entraînant la cessation d'activité de nombreux prestataires sous-traitants. Depuis 2005, on assiste à nouveau à une forte augmentation du nombre d'établissements et des effectifs, en raison du développement des nouveaux usages (usages occasionnels, jeux sur mobiles), domaines qui sont moins exigeants en termes de barrières à l'entrée. Sur la période 2005- 2011, tandis que le nombre d'établissements a augmenté de 250 %, les effectifs salariés du secteur des jeux électroniques ont connu une croissance de 257 %. Par comparaison, les effectifs du secteur des logiciels sont restés stables sur cette même période (+ 1%). Les établissements de jeu vidéo sont en majorité de très petite taille : les deux tiers n'ont pas de salarié (66 %). 90 % des établissements ont moins de 10 salariés. Seuls 3 % des établissements franciliens ont 50 salariés ou plus. Mais dans le monde du jeu vidéo, une structure de 20 salariés peut être considérée une structure importante. De plus les effectifs varient considérablement en fonction des projets : si une équipe de développement importante est nécessaire au moment de la création du jeu, ce n'est souvent plus le cas dès que celui-ci est lancé sur le marché. Une des difficultés des entreprises consiste donc à rechercher des financements pour pouvoir faire travailler ses équipes sur un nouveau projet dès la fin du précédent, le secteur ne disposant pas de la souplesse qui existe dans le spectacle grâce au statut d'intermittent.

La France, un pays de production et de consommation du jeu vidéo

Le jeu vidéo est la première industrie culturelle en France par son chiffre d'affaires qui dépasse celui du cinéma ou de la musique. En 2011, les volumes des ventes (matériel et logiciel) ont atteint 2,7 milliards d'euros. En Europe, la France constitue le deuxième marché derrière le Royaume-Uni et devant l'Allemagne. On recense en France 28 millions de joueurs. C'est un des pays les mieux équipés en nouvelles technologies (haut débit, smartphones, box, téléviseurs connectés), ce qui facilite la diffusion des jeux. Mais la France est aussi un pays de production de jeux vidéo, le deuxième en Europe et le septième au niveau mondial. Quelques studios et éditeurs français ont réussi à percer au plan mondial en raison de leur performance : ainsi Ubisoft (Paris et Montreuil), Quantic Dream (Pantin) ou Cyanide (Nanterre) sont-ils reconnus dans le monde entier pour leur savoir-faire. Plus de 80 % de la production française est exportée. C'est le deuxième pays derrière les USA en volume de production dans les jeux vidéo sur les réseaux sociaux ou les smartphones.

Des entreprises françaises face à la concurrence internationale

Le salon international E3Travaillant sur de l'immatériel, sur un marché extrêmement changeant, avec des délais de production pouvant être importants, les entreprises du jeu vidéo ont des difficultés à trouver des financements auprès des banques. Celles-ci méconnaissent le secteur, qu'elles ont tendance à voir comme un secteur à risque, crainte renforcée depuis l'éclatement de la bulle internet. Le capital-risque ou les dispositifs de soutien à l'innovation ne compensent pas cette réticence des banques. La recherche de fonds est donc une problématique constante pour les entreprises du jeu vidéo, souvent sous-capitalisées. En effet il faut mobiliser des moyens importants dans les phases de conception et de recherche avant d'être en mesure de réaliser une maquette qui pourra convaincre un éditeur de financer la production du jeu. Les entreprises doivent souvent réinvestir dans le financement d'un nouveau projet les sommes obtenues après un premier succès commercial, avec tous les risques que cela comporte en cas d'échec. Pour pallier ces difficultés, des groupements professionnels, (Syndicat National du Jeu Vidéo, Capital Games), travaillent sur deux projets complémentaires de création de fonds d'investissement qui avanceraient de l'argent aux sociétés concernées. Le gouvernement soutient déjà le secteur par diverses mesures dont notamment le Crédit d'Impôt Jeu Vidéo : mis en place en 2008, il permet aux entreprises réalisant et produisant des jeux vidéo de déduire de leurs impôts 20 % des dépenses liées au développement d'un jeu, dans la limite de trois millions d'euros par société. Selon le Centre National du Cinéma, le CIJV a généré des recettes cumulées pour l'Etat supérieures au total des crédits d'impôt accordés (63,4 millions d'euros de recettes pour 38 millions de dépenses). On estime que pour chaque euro de crédit d'impôt versé, 6,70 euros de dépenses sont réalisées dans la filière du jeu vidéo et 1,80 euro de recettes fiscales et sociales perçues par l'Etat. Mais les professionnels du secteur estiment qu'il faut encore améliorer ce dispositif, et augmenter le soutien au secteur. En effet, le marché du jeu vidéo est mondialisé, et les entreprises françaises doivent faire face à la concurrence de pays étrangers qui mettent en place des dispositifs incitatifs très performants (Royaume-Uni, USA, Corée, Singapour, Australie et surtout Canada), au point que de nombreuses entreprises françaises partent s'y implanter. Ubisoft a été un des pionniers en ouvrant dès la fin des années 90 des studios au Canada, en Chine, en Espagne ou au Maroc. Aujourd'hui les effectifs d'Ubisoft au Québec représentent 3 000 personnes, soit trois fois plus qu'en France. La région Ile-de- France, qui a cerné l'importance du secteur, s'est alliée à plusieurs régions européennes au sein du projet européen Boo Games, afin de renforcer le secteur des jeux, améliorer les politiques et diffuser les bonnes pratiques.

Un marché qui se dématérialise

Autrefois, les jeux vidéo étaient diffusés sur des supports physiques (cartouche, CDRom, …) et destinés à être lus sur des consoles dédiées. Depuis quelques années, le secteur a connu d'importantes évolutions, notamment une dématérialisation croissante, le jeu devenant accessible sans support physique. Les joueurs peuvent désormais acheter leurs jeux via des plates-formes de distribution dématérialisée (Steam, Google Play, App Store,…). Les façons de jouer se sont multipliées et simplifiées : il est désormais possible de jouer sur des ordinateurs, tablettes et smartphones, ou via des box et des téléviseurs connectés. Aujourd'hui les éditeurs privilégient de plus en plus le digital car ils peuvent ainsi économiser les coûts liés à la distribution de jeux "en boîte" : coûts de fabrication du jeu, frais de logistique, de stocks, royalties versées aux fabricants de consoles, remise accordée au distributeur. Le marché des jeux "physiques" diminue donc régulièrement.

Cette dématérialisation a également des conséquences sur les relations entre studios et éditeurs. Aujourd'hui grâce notamment au développement des nouveaux modes d'accès au jeu (sur mobile notamment), il est beaucoup plus facile de soumettre son jeu aux plates-formes de distribution, ce qui permet aux studios de proposer leurs jeux directement sans avoir à passer par un éditeur. Ainsi, tout en conservant une partie de leur activité consistant à répondre à la commande d'un éditeur, peuvent-ils développer en parallèle de petits projets autofinancés, dont ils vont gérer l'ensemble de la commercialisation et conserver la majorité des recettes sur les ventes. Devenir son propre éditeur permet au studio d'encaisser tout l'argent généré par le jeu, moins la commission prise par la plateforme de distribution. Mais elle lui garantit également de garder la main sur la propriété intellectuelle du jeu, sans être soumis à accord de l'éditeur comme dans le cadre d'un contrat d'édition habituel. Cela suppose toutefois d'investir en termes de marketing, de communication. Or bien souvent les studios ne disposent pas des compétences nécessaires en interne, voire même ne sont pas conscients de la nécessité d'une stratégie marketing, quelle que soit la qualité du jeu.

Une multiplication des platesformes de jeux disponibles

Surtout, depuis quelques années se multiplient les ventes de smartphones et de tablettes, dont les performances et les qualités graphiques font jeu égal avec certaines consoles de salon et permettent de jouer sans difficulté aux jeux vidéo. On assiste également au succès croissant des jeux sur réseaux sociaux et notamment sur Facebook. Smartphones et tablettes ont permis l'accès du grand public à des jeux simples d'accès et au temps de jeu réduit, permettant par exemple de jouer dans les transports, qu'on a appelé le "casual gaming". Ces jeux ont des coûts de développement beaucoup moins élevés que pour les jeux sur consoles, (quelques dizaines de milliers d'euros pour les applications simples, de 300 000 à 500 000 euros pour les jeux plus sophistiqués, contre 1 à 2 millions pour un jeu vidéo classique). Ces nouveaux terminaux ont donc permis l'arrivée de nouveaux entrants, et de nombreux studios de développement deviennent leur propre éditeur et diffusent eux-mêmes leurs créations.

Ces nouveaux modes d'accès ont également bouleversé le modèle économique des jeux. En effet les jeux nomades sont souvent vendus très peu cher (moins d'un euro) ou même diffusés gratuitement : c'est le modèle du " free to play ". Il s'agit de jeux gratuits, pour lesquels sont disponibles des options payantes, mais de faible montant, qui permettent d'améliorer ou de faciliter une action de jeu, de personnaliser le personnage, d'acheter des biens virtuels, etc. Ce nouveau modèle de micro-transactions est très populaire dans les jeux sur réseaux sociaux. Mais comme seule une faible frange de joueurs va payer pour les options (de 3 à 5 %), ce modèle implique pour l'éditeur de parvenir à avoir suffisamment d'utilisateurs pour que le volume de transactions généré soit suffisant. De plus, cela implique des coûts pour recruter les joueurs et pour animer leur communauté.

En effet, le modèle économique du free to play, même s'il a connu un fort engouement de la part des entreprises, ne convient pas à tous les types de jeux. Partant du principe que plus le joueur est immergé dans le jeu et plus il a de chances de payer, ce modèle suppose un travail d'accompagnement du joueur et une adaptation constante du jeu, ce qui implique des coûts importants : coûts de serveur, présence d'un développeur en permanence, community manager, analyse de données, etc. Les coûts liés à ces actions pour faire venir le consommateur et optimiser sa rentabilité ont beaucoup augmenté ces dernières années en comparaison des coûts de développement.

Les entreprises franciliennes se positionnent de plus en plus sur les jeux mobiles et sociaux car ces secteurs demandent des budgets et des délais beaucoup plus modestes que les jeux traditionnels. Mais du coup, beaucoup d'entreprises se lancent sur ces créneaux où l'offre est désormais hyper abondante. Il devient très difficile pour un jeu de se distinguer et de permettre à son éditeur de réaliser des marges. De plus, les éditeurs doivent suivre des technologies en constante évolution, ce qui implique des coûts de développement importants.

Capital Games, le cluster francilien du jeu vidéo

Les locaux de Capital GamesCréé en 2004, ce cluster situé dans le 18ème arrondissement de Paris, fédère une soixantaine d'entreprises, tous marchés, segments et plates-formes du jeu vidéo confondus. Il vise à favoriser les bonnes pratiques, assurer la transmission des compétences et développer l'animation du secteur des jeux vidéo. Il soutient les entreprises membres selon 6 axes principaux : Recherche et Développement, Développement international, Communication et marketing, Financement, Emplois et compétences, Ethique et déontologie. Il aide également à la structuration de la filière sur le long terme, et porte la première convention B to B d'Europe, la Game Connection.

Capital Games prépare actuellement, en partenariat avec l'AFJV (Agence Française pour le Jeu Vidéo) une grande enquête auprès des entreprises du jeu vidéo dans la région Ile-de-France. http://capital-games.org/

Remerciements

  • Mme Aurélie GERAULT, chargée de mission, Capital Games
  • M. Pierre-Emmanuel DAIGRE, chargé de mission, Capital Games
  • M. Eric LEGUAY, consultant expert Commission Contenus, Cap Digital
  • M. Eric DELAFOY, chef de projet Filière Image, CCI Paris Ile-de-France

Pour en savoir plus :

  • Syndicat National du Jeu Vidéo (SNJV) Passage du Cheval Blanc, 2 rue de la Roquette 75011 Paris - www.snjv.org
  • Agence Française pour le Jeu Vidéo (AFJV) 49, rue de Boulainvilliers 75016 Paris - www.afjv.com
  • Capital Games C/O Paris Region Innovation Nord Express (PRINE) 110, rue des Poissonniers, 48 Voie CI - 75899 Paris Cedex 18 - http://capital-games.org/
  • Ecole des Gobelins : http://www.gobelins.fr

Télécharger l'étude sur le site du CROCIS
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Publié le 26 septembre 2013 par Emmanuel Forsans
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