Les nouveaux territoires du jeu vidéo
6. Les acteurs français dans la compétition internationale
Sommaire
5èmes Assises de la convergence des médias
Paris, Assemblée nationale, le 8 décembre 2011
Synthèse des interventions de l'après-midi par Nicolas BRIZE
- Un secteur crucial pour notre économie numérique
- Les nouveaux visages du jeu vidéo
- Pour un fonds de soutien au jeu vidéo
- Le rapport parlementaire sur le statut juridique du jeu vidéo
- Le statut juridique du jeu vidéo
- Les acteurs français dans la compétition internationale
- Dématérialisation de la distribution : le rôle des réseaux sociaux, du "cloud gaming" et de la TV connectée
"La législation française en matière de droits d'auteur ne facilite pas les choses. Les négociations sur une coproduction avec les Etats-Unis ou d'autres territoires sont plutôt compliquées." Christophe Di Sabatino est fondateur et dirigeant de la société de production et de distribution Moonscoop. Installé à Paris et à Angoulême (studio 3D), Moonscoop a un catalogue qui couvre environ 3000 demi-heures de programmes. Parmi les titres phares Titeuf, Casper ou Code Lyoko qui va être porté en jeu vidéo. Moonscoop a également 60 salariés installés à Los Angeles, aux Etats-Unis, où il opère également une chaîne VOD avec Comcast.
6.1 Des opportunités
"Avec les plateformes numériques, la compétition devient réellement internationale", estime Christophe Di Sabatino. "Le signal ne s'arrête plus aux frontières géographiques, mais peut-être aux frontières linguistiques. On a cette opportunité d'avoir tous les jours de nouveaux distributeurs, de nouveaux réseaux de diffusion, de nouvelles chaînes de télévision TNT et autres."
"On a aussi une véritable opportunité avec des territoires qui sont médias émergents, et qui attendent fortement des productions européennes alternatives aux productions américaines. Ce sont les territoires en pleine croissance démographique et économique, Turquie, Russie, Middle East, Europe de l'Est. Ils sont en attente de contenus français et européens."
Problème : "les acteurs français, malgré la qualité de leur production, ont du mal à s'exporter."
6.2 Des difficultés structurelles
"Nos compétiteurs sont américains, hongrois, chinois ou autres." Pour Christophe Di Sabatino, "nous sommes tous créateurs de propriété intellectuelle à l'origine. Que l'on crée une série d'animation, un film ou un jeu vidéo, on crée avant tout une marque. Il est donc logique que dans nos métiers, créateurs de franchises, de marques multimédias, on retrouve les mêmes problématiques que rencontrent les autres entrepreneurs français à l'exportation." C'est-à-dire :
- Les difficultés qu'ont les entrepreneurs français à exporter,
- La faiblesse de nos capitaux propres dans les sociétés,
- Nos tissus bancaires qui ne sont pas ceux du Mittelstand allemand.
6.3 Le modèle industriel
80% des revenus de Moonscoop ne sont pas français.
Selon Christophe Di Sabatino, Moonscoop trouve en France environ 35% de ses financements ; "les 60% restants, on va les trouver à l'étranger. On rapatrie ces capitaux en France, on fabrique et on réexporte. À un moment donné, 80% de notre chiffre d'affaires est constitué d'argent qui n'est pas de l'argent français, à la fois en termes de financement et de revenus. Aux Etats-Unis, les gros diffuseurs (Disney, Nickelodeon) nous considèrent comme des étrangers. Et pour cela, il vaut mieux être un local. C'est la voie que nous avons mise en place."
Cette stratégie a ses défauts.
- "Le dollar a plongé et les revenus en dollars sont très faibles aujourd'hui, alors qu'on fabrique en euros."
- Les marchés se sont déplacés en Asie, en Inde avec qui l'on travaille beaucoup, et de plus en plus en Europe de l'Est et Middle East.
Mais au final, "cela nous a donné une certaine assise internationale. On n'est pas resté aux yeux des autres un groupe français alors que nous sommes, en termes de capitaux et de fabrication, essentiellement français", conclut Christophe Di Sabatino.
6.4 Le modèle indépendant
"Moonscoop est un industriel." Laurent Thiry, producteur de Magnificat Film, lui, se considère comme un "artisan". "Même si j'ai dû in fine monter mon propre studio de motion capture et d'animation à Paris, je reste une micro-entreprise. Je ne travaille pas dans une notion de licence ou de marque. Je travaille dans la notion d'une oeuvre. C'est ce qui fait qu'au final, les financements ne sont pas extraordinaires, mais j'ai pu bout à bout les déclencher."
Laurent Thiry est un producteur "éclectique".
- Il produit actuellement un film d'animation dans la veine de "Valse avec Bachir". L'histoire se passe pendant la guerre d'Algérie, au moment du putsch des généraux. "Plutôt que de fabriquer toute une Algérie ou de sortir un drapeau français à Alger, on a pris le parti d'en faire un film d'animation pour offrir à une population plus jeune un autre regard sur cette période toujours aussi douloureuse. C'est un film complexe, un film d'animation adulte. Il n'y a pas de marché actuellement dans ce créneau."
- Parallèlement à ce film, "on a développé un jeu vidéo qui permet de comprendre ce qu'était la guerre d'Algérie avant le putsch."
- On a également développé une bande dessinée et un roman.
6.4.1 Les subventions
"Est-il facile de trouver les financements pour l'ensemble des supports sur lesquels vous travaillez ?" demande Emmanuel Forsans, directeur général de l'Agence française du jeu vidéo (AFJV).
Laurent Thiry : "Pour l'heure, les projets transmédia suivent des parcours subventionnés. Pixel Lab34, puis CNC. On est dans une oeuvre d'auteur, de divertissement et d'entertainment. On est à la croisée de beaucoup de chemins, et donc on suscite une curiosité. Cette curiosité est peut-être moins comprise, moins bien suivie en France. Mais comme vous êtes en-dehors des chemins balisés, on vous dit : pourquoi pas ? En cela, le CNC est un partenaire fondamental, je tiens à le souligner. Le CNC n'est pas un frein, au contraire, il tend à permettre une progression dans le développement d'une oeuvre telle que celle que je mets en place."
6.4.2 L'aide sélective du CNC aux projets transmédia
Guillaume Blanchot apporte des précisions. "L'aide sélective du CNC pour des projets transmédia est attribuée au cas par cas, notamment pour des phases de développement portées par des producteurs. Ces projets peuvent associer une dimension télévisuelle, un jeu vidéo, des contenus pour le Web, etc. Pour des phases de production, c'est un peu différent."
Laurent Thiry estime que "les mécanismes qui sont mis en place sont tout à fait pertinents, excepté le crédit d'impôt. Sur un plan international, je trouve qu'il est moins adapté que certaines aides ou incitations fiscales sur d'autres destinations."
"Les partenaires qui nous suivent, on en trouve sur l'ensemble des territoires européens. On est très aidé au niveau européen et également au Canada."
6.4.3 L'hétérogénéité des aides
Emmanuel Forsans : "en France, le montant des aides allouées au jeu vidéo n'est pas très différent de celles du Canada où l'on trouve le même type d'aides, de crédit d'impôt, d'aides à l'innovation."
Stéphane Natkin relève un point de difficulté. "En France, si l'on regarde l'ensemble des mécanismes d'aide, au niveau régional et au niveau national, globalement, quelqu'un qui veut produire quelque chose peut obtenir un montant d'aide qui est loin d'être négligeable. La seule vraie difficulté, c'est qu'il y a 45 guichets et 37 dossiers à produire pour arriver à cumuler toutes ces aides !"
Laurent Thiry confirme : "Mon métier est de faire des dossiers."
C'est tellement vrai que Stéphane Natkin essaie de monter une structure à l'ENJMIN pour promouvoir les jeux qui sortent de sa propre école.35
Emmanuel Forsans souligne une énorme différence : "le Canada n'appartient pas à l'Union européenne. Lorsque les Canadiens décident de subventionner une entreprise à hauteur de 20 millions ou 100 millions, ils n'ont pas forcément un gros rapport à rédiger pour obtenir les autorisations. Les distorsions de concurrence se passent en interne, entre l'Ontario et le Québec par exemple."
6.5 Le savoir-faire français
Pour Laurent Thiry, "en France, on a un vrai savoir-faire. Les studios français sont extrêmement sollicités par des boîtes américaines qui viennent faire des effets spéciaux et de l'animation. N'est-ce pas Universal qui vient de racheter la partie animation du studio Mac Guff Ligne ?36."
"Ce tissu extraordinaire prend sa base dans les écoles. C'est une formation vraiment reconnue, dans laquelle on emploie les mêmes termes. C'est un atout très important, car on ne parle pas le même langage en France et au Canada français. Pour refaire une scène par exemple, c'est compliqué."
6.5.1 Parler le même langage
Chez Magnificat Film, "en préambule de toute réunion, on met des définitions. Que veut dire un layer, une scène ? Dans le jeu vidéo, on est prié d'avoir ces connexions pour parler le même langage, que tout le monde se comprenne", note Laurent Thiry. "Parce qu'après, on ne va plus travailler au même endroit. On va travailler à deux cents, deux mille kilomètres de distance. Tout ce qui est préparé en amont est un gain après-coup. Même dans les contrats, je mets des définitions."
Stéphane Natkin fait remarquer que "les mathématiques restent l'une des rares disciplines où l'on fait encore des publications scientifiques en français aux Etats-Unis. Il faudrait se demander pourquoi."
Ce besoin de parler le même langage, on le retrouve d'une certaine façon au niveau des relations avec le diffuseur et les partenaires. Les projets que Laurent Thiry va proposer à la chaîne et aux partenaires sont "assez soft en termes de compréhension. Il faut aller doucement. Une chaîne de télévision n'est pas habilitée à comprendre le lien entre un programme audiovisuel et un jeu transmédia."
"Lorsqu'on revient du Pixel Lab, on s'aperçoit que la notion même d'oeuvre transmédia n'existe plus. On part d'une thématique au sens général du terme et on se demande si on peut en faire un jeu, un film, une série. Mais ça, ce sera l'avenir. Aujourd'hui à partir d'un film, on se demande si on peut en faire un jeu vidéo."
6.5.2 La formation transmédia
Stéphane Natkin envisage de plus en plus de passerelles entre animation et jeu vidéo. "On vient d'ouvrir une formation IDE (Interactive digital experience), avec l'école des Gobelins, un master entre le design numérique et le design avec l'ENSCI (Ecole Nationale supérieure de création industrielle), et on monte un projet d'école transmédia sur Marseille."
Pour le directeur de l'ENJMIN, "ce mélange est une nécessité économique" au moins pour trois raisons :
- "L'idée de passerelle entre jeu vidéo et animation est trop évidente pour être forcément la meilleure. C'est la passerelle entre l'audiovisuel et l'ensemble du loisir qui est essentielle, "l'entertainment", cette idée du transmédia au sens d'Eric Viennot37. C'est là que va se trouver l'ensemble de la mécanique de financement, le jour où une émission TV sera au croisement d'un jeu vidéo et d'une Web série."
- "Jean-Louis Missika, lors de sa conférence introductive au CNAM sur l'économie numérique, disait que le Web, contrairement aux mutations précédentes, absorbe les autres médias. Progressivement, on ne fera plus la différence entre une série TV et une Web série. Quand l'écran sera le même, où sera la différence ?"
- Du point de vue de l'enseignement, ce mélange pose un certain nombre de problèmes. "Comment former un designer transmédia alors qu'il n'y a pas d'histoire du transmédia ?" se demande Stéphane Natkin. "Comment je forme un producteur pour qu'il sache à la fois trouver le financement d'une série TV et celui d'un jeu vidéo ?"
Sur ce dernier point, Julien Villedieu, directeur général du Syndicat national du jeu vidéo (SNJV), insiste beaucoup : "Si les créateurs sont parfois de très bons entrepreneurs, je dirais pas toujours. C'est peut-être aussi ce qui fait notre difficulté. On fait tout pour que les investisseurs puissent se rapprocher des créateurs. Parfois, ça marche. Souvent ça ne fonctionne pas. Il faut une acculturation réciproque à nos marchés, à nos difficultés, à nos spécificités, et puis au langage des financiers."38
6.5.3 Le rayonnement de la France
"Que deviennent nos jeunes très bien formés ?" demande Emmanuel Forsans.
Stéphane Natkin : "D'une façon générale ils restent en France. Il faut que ça continue."
"On peut mettre en place tous les modes de financement et de crédit qu'on voudra (même s'ils sont indispensables), il faut jouer sur le rayonnement de la France. L'image de la France, celle de Paris en particulier, doit perdurer. C'est un élément essentiel."
"Il faut donner de la France l'idée d'un pays où l'on vient pour créer, et où l'on reste pour créer. Le jour où un Américain se dira : parce qu'il y a des talents extraordinaires, je vais produire mon jeu vidéo à Paris, alors on aura gagné."
"Il faut mettre en place cette mécanique vertueuse."
Dissémination
Le producteur de Moonscoop est le premier à le dire. "Dans l'audiovisuel, il y a un tissu de producteurs indépendants incroyable en France. Ils produisent des oeuvres de facture internationale. Le système vertueux du CNC a permis de faire émerger des gens de talent et des producteurs de contenu. C'est un atout", reconnaît Christophe Di Sabatino. Malheureusement, "les acteurs français, qui sont des producteurs indépendants disséminés sur le territoire, ne peuvent pas vraiment répondre aux nouveaux enjeux du numérique et de l'internationalisation des contenus."
Damien Moret, directeur de développement chez Ubisoft, s'interroge sur l'évolution du jeu vidéo. "Pendant longtemps on a comparé le jeu vidéo au film. Actuellement on s'oriente vers des portails. On est provider de contenus, opérateur de contenu. Le créateur travaille avec le commercial, le marketing, des économistes. En quoi cela va faire évoluer la réflexion que toute l'industrie a sur le créateur de jeu vidéo ?"
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5èmes Assises de la convergence des médias
Paris, Assemblée nationale, le 8 décembre 2011
Synthèse des interventions de l'après-midi par Nicolas BRIZE
- Un secteur crucial pour notre économie numérique
- Les nouveaux visages du jeu vidéo
- Pour un fonds de soutien au jeu vidéo
- Le rapport parlementaire sur le statut juridique du jeu vidéo
- Le statut juridique du jeu vidéo
- Les acteurs français dans la compétition internationale
- Dématérialisation de la distribution : le rôle des réseaux sociaux, du "cloud gaming" et de la TV connectée