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Jeux vidéo et AI Act : la partie ne fait que commencer

Par Me Julie Prost - Avocate Associée - Impala Avocats


Jeux vidéo et AI Act : la partie ne fait que commencerLe Règlement européen sur l'intelligence artificielle[1] ("AI Act"), entré en vigueur en août 2024, vise à encadrer le déploiement des systèmes d'IA au sein de l'Union européenne en fonction de leur niveau de risque.

Si le secteur du jeu vidéo semble, à première vue, majoritairement concerné par des usages à risque minimal, la réalité est plus nuancée. Certaines fonctionnalités ou expériences basées sur l'IA peuvent entraîner des obligations réglementaires substantielles pour les studios et les éditeurs de jeux vidéo.
Image générée par une IA - Adobe Stock

1. Une approche fondée sur les risques

L'AI Act repose sur une hiérarchie de risques auxquels sont associés des obligations plus ou moins contraignantes :

  • Les risques inacceptables : concernent des systèmes interdits car manipulant les utilisateurs, exploitant leur vulnérabilité (notamment les mineurs).
  • Les risques élevés : correspondent à des systèmes soumis à un régime strict (audit, documentation, gestion des risques).
  • Les risques limités : couvrent des systèmes soumis à des obligations de transparence (ex. : indiquer que l'on interagit avec une IA).
  • Les risques minimaux : ne nécessitent aucun encadrement particulier, usage libre.

2. Jeux vidéo et classification par risque : une analyse au cas par cas

Contrairement à une idée reçue, les systèmes d'IA utilisés dans les jeux vidéo ne sont pas automatiquement considérés comme à risque minimal[2].

Certaines IA embarquées dans des jeux vidéo remplissent des fonctions avancées de simulation, d'adaptation ou d'interaction, qui vont au-delà du simple divertissement et qui pourraient relever, dans certains cas, des régimes à risque limité, voire spécifique si elles influencent des comportements humains de manière significative (ex. addiction, désinformation, microtransaction guidée par IA, etc.).

Voici quelques exemples que l'on retrouve souvent dans les fonctionnalités d'un jeu vidéo :

  • Les systèmes adaptatifs ou de recommandation comportementale : un moteur qui ajusterait dynamiquement le gameplay ou les achats (microtransactions) en fonction du comportement prédictif du joueur peut constituer un risque élevé, voire inacceptable s'il vise à manipuler le comportement du joueur sans son consentement clair.
    Ainsi par exemple, grâce au système Némésis de "L'Ombre du Mordor", les ennemis apprennent, montent en grade, gardent en mémoire leurs relations passées. Cela relève d'un comportement autonome complexe.
  • Chatbots / Personnage non joueur ("PNJ") génératifs : si un joueur interagit avec un PNJ doté d'une IA générative, il s'agit a priori d'un système à risque limité, imposant une information claire sur la nature artificielle du personnage. Mais attention, si le PNJ peut générer du contenu sensible, discriminant ou illégal, on bascule potentiellement dans le risque élevé, exigeant une maîtrise des sorties, une modération et un audit technique du modèle utilisé.

3. Obligations principales des studios et éditeurs

Selon leur rôle (fournisseur ou déployeur du système IA) et le niveau de risque associé, les acteurs du jeu vidéo vont devoir auditer leur jeu pour déterminer si tout ou partie présente un risque et quel type de risque. Les conclusions devront être documentées en cas de contrôle et régulièrement être mises à jour en fonction des évolutions du jeu.

Pour les jeux dotés d'IA à risque limité

Ils devront informer les utilisateurs qu'ils interagissent avec une IA, lorsque c'est le cas (PNJ, chatbot). Cette information devra être fournie de manière claire, compréhensible, visible, et adaptée aux mineurs si le jeu s'adresse à ce public.

Chez Impala Avocats, nous militons pour l'adoption d'un logo universel, simple et explicite, permettant à tout utilisateur d'identifier immédiatement lorsqu'un contenu, une décision ou une interaction a été généré ou influencé par un système d'intelligence artificielle. À l'image du logo CE ou des pictogrammes de tri, ce signe visuel contribuerait à renforcer la transparence, prévenir les risques de confusion et faciliter la conformité avec l'AI Act, qui impose des obligations de transparence pour les systèmes à risque limité.

Nous recommandons l'usage d'un symbole neutre et accessible, comme l'emoji  (baguette magique), pour évoquer la génération automatique ou assistée sans anthropomorphiser l'IA. Accompagné d'une mention claire comme :

Généré avec l'aide d'une IA

ce pictogramme pourrait être intégré dans des interfaces, des jeux vidéo, des contenus ou des documents, sans alourdir l'expérience utilisateur, tout en garantissant un niveau de transparence conforme aux nouvelles normes européennes.

Nous appelons les éditeurs, designers, développeurs, juristes et régulateurs à co-construire un standard commun, lisible et interopérable, qui pourrait devenir un réflexe éthique dans tout l'écosystème numérique.

Pour les systèmes à haut risque

Il faudra documenter le fonctionnement du système (architecture, données, logique), mener une évaluation des risques, mettre en place une gouvernance et une supervision humaine, prévoir des audits réguliers et fournir un droit de recours pour les utilisateurs.

4. Interactions avec le RGPD : un tandem incontournable

Dès lors que le système d'IA traite des données comportementales ou personnelles, les obligations du RGPD s'ajoutent à celles de l'AI Act : finalité, base légale, information ; minimisation des données ; analyse d'impact (AIPD) en cas de risque élevé.

5. Bonnes pratiques pour les studios

Si l'on devait s'en tenir à une approche synthétique et pragmatique, voici les cinq bonnes pratiques que tous les studios et éditeurs devraient mettre en place :

  • Cartographier les usages d'IA dans chaque jeu et fonctionnalité.
  • Qualifier le niveau de risque associé à chaque système.
  • Informer clairement les joueurs quand un jeu intègre un système d'IA 
  • Superviser activement les IA adaptatives et documenter leurs réglages.
  • Mettre en place une gouvernance IA interne (juridique, technique et éthique).

L'AI Act n'est pas un règlement éloigné du secteur du jeu vidéo : il impose une réflexion approfondie sur les usages des systèmes d'IA, même lorsqu'ils semblent banals. Les studios doivent anticiper ces exigences pour garantir la conformité de leurs jeux, protéger les joueurs, et préserver leur liberté créative tout en respectant les règles du jeu européen.

Me Julie Prost
Avocate Associée
impala-avocats.com
Septembre 2025

Publié le 25 septembre 2025 par Emmanuel Forsans
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