Le modèle économique des loot boxes et des microtransactions dans le jeu vidéo
Partie 1 : Présentation des loot boxes et des microtransactions dans le monde des jeux-vidéo
Par Matthieu Ivorra
1 : Que sont les microtransactions et les loot boxes ?
1.1 : Les microtransactions
Les microtransactions dans le monde du jeu vidéo (ou les micropaiements dans la vie de tous les jours) sont des transactions payantes permettant d'acheter un bien numérique de faible valeur unitaire. Dans les jeux vidéo, les microtransactions sont parfois la base d'un modèle économique. Souvent utilisés dans les jeux en lignes, les jeux free-to-play ou les jeux mobiles, les microtransactions sont de plus en plus populaires et se développent au fur et à mesure dans différents types de jeux à un tel point qu'elles touchent les AAA, prenant petit à petit de l'ampleur, au point peut-être de devenir le modèle du futur.
Bien que les microtransactions soient considérées par le grand-public comme un modèle économique récent, cette technique remonte à bien des années, à un tel point où les sites spécialisés n'arrivent pas à s'accorder, quel titre à intégrer des microtransactions en premier. Le fait de faire payer les joueurs régulièrement est un concept aussi vieux que le jeu vidéo lui-même, et pour cela il faut se référer aux anciens modèles économiques pouvant être comparés pour certains à des microtransactions comme les bornes d'arcades (voir Partie 1, 3, 3..1) par exemple.
Si les microtransactions sont présentes dans les jeux vidéo, c'est pour pallier les coûts de production des jeux vidéo qui sont de plus en plus gros, et depuis 2013 il est difficile de trouver un jeu qui ne contient pas de microtransactions, tellement celles-ci sont présentes dans tous les gens de jeux.
Les microtransactions sont présentes dans les jeux gratuits ou payants, dans les AAA et les titres indépendants ainsi que dans les jeux solos ou multijoueurs.
Parmi ces microtransactions et les jeux les utilisant, il existe un point clef qui est la "barrière du bon sens" des développeurs : A partir de quand un jeu devient-il un pay-to-win à cause de ses microtransactions ?
Enfin, il existe différentes microtransactions. Il y a l'achat direct et l'achat indirect.
Si l'achat direct est apprécié des joueurs, l'achat indirect est souvent caractérisé par les loot boxes donnant des résultats aléatoires. Il s'agit en quelque sorte d'une microtransaction ou l'on ne connait pas précisément ce que l'on obtiendra.
1.2 : Les loot boxes
Les "loot boxes" ou "coffres à butin" en français, sont des objets virtuels présents dans certains jeux vidéo et elles contiennent des items comme de la personnalisation d'objets, de nouveaux personnages, des améliorations de jeux et bien plus encore. Les loot boxes peuvent être gratuites ou payantes et déblocable via une clef ou non.
D'abord aperçu sur des jeux comme CS-GO dans les années 2010, des TCG ou des jeux free-to-play sur téléphones mobiles, les loot boxes s'intègrent de plus en plus aux grosses productions. Ces gros jeux, appelés triple A (ou AAA) contiennent bien souvent d'autres contenus payants comme des packs exclusifs vendus uniquement les premiers jours, des éditions collectors, des season pass, et des DLC.
Maintenant connus des joueurs depuis des années, les loot boxes sont devenus "les jeux de hasard du jeu vidéo". Le principe est simple, le joueur achète une ou plusieurs loot boxes et récupère ainsi du contenu aléatoire, avec le plaisir d'ouvrir des loot boxes par dizaines et parfois par centaines.
Le contenu de ces loot boxes est évidemment entièrement numérique et propre au jeu en question.
Modèle économique en pleine croissance dans les jeux vidéo, les loot boxes sont souvent proposés à de faibles prix, pouvant aller par exemple de 1.99€ les deux loot boxes à 39.99€ les 50. [1]
La barrière entre simple caisse numérique et jeu de hasard est parfois mince et certains jeux abusent même de leurs joueurs en créant un paywall et en se transformant en véritables pay-to-win inégalitaires. Les loot boxes finissent donc par avoir une véritable influence sur le gameplay d'un jeu et jouer un certain temps se transforme parfois en véritable investissement économique.
Au contraire des microtransactions, les loot boxes ne permettent pas de savoir ce que l'on va obtenir, ou bien nous donnent simplement une idée. Par exemple, certaines boites contiendront les items numérotés de 1 à 20 d'un jeu sur une liste totale de 100, nous laissant apercevoir une partie des butins disponibles dans cette loot box précise. Ces mécaniques d'aléatoires ne sont pas sans rappeler les jeux de hasard des casinos.
Devenues un véritable atout commercial, les loot boxes sont parfois proposées gratuitement après le lancement d'un jeu en passant un certain temps quotidiennement dessus et en débloquant des défis avant d'être disponibles à l'achat plus tard.
Les loot boxes sont une réussite commerciale lorsque l'on voit les résultats de plusieurs gros éditeurs comme Ubisoft ou Activision-Blizzard, chez qui, les loot boxes représentent environ la moitié du chiffre d'affaire.
Les loot boxes finissent par être responsables de la création d'une véritable économie parallèle au jeu. Certain butins très rares peuvent atteindre des prix exorbitants sur des plateformes de "trading".
Exemple d'économie parallèle - https://fr.opskins.com
La rareté ou l'unicité de certains de ces objets virtuels finissent par devenir comparables à des objets de collection réels.
La plateforme Steam est elle-même dotée d'un marché parallèle, où les joueurs peuvent acheter et revendre des items qu'ils gagnent en jouant à leurs jeux. Ces items peuvent être spéculés comme le font les bourses mondiales.
Le marché de la communauté de la plateforme Steam
Bien que de plus en plus fréquentes, tous les jeux ne disposent pas systématiquement d'un modèle économique basée sur la vente de loot boxes et la plupart d'entre eux ne touchent qu'à la cosmétique. La cosmétique effectue seulement des changements visuels sans impact sur le gameplay.
Pour certains, les "loot boxes" existent depuis plus de 100 ans. Ils comparent ces coffres numériques avec les cartes de baseball à collectionner datant du début du XXème siècle.
Après la Première Guerre Mondiale, les cartes de baseball à collectionner contenaient des "objets légendaires", des cartes avec des embouts dorés. Ces paquets de cartes représentent l'ancêtre des loot boxes, et avaient les même effets sur l'esprit que les loot boxes actuelles (voir partie 4, 1)
Les paquets de cartes, au même titre que les loot boxes avaient fait polémiques en 1992 et 1999, en comparant les paquets de carte Pokémon à des jeux de hasard.
Malgré la diffusion de plus en plus grande de ce concept, les solutions de régulations sont encore inefficaces voire inexistantes. Et si certains pays ont peur que le grand public, et en particuliers les jeunes, tombent dans "l'addiction" similaire aux jeux de hasard, les solutions gouvernementales / d'autorégulation n'ont pas toutes encore donné leur avis.
Pour bien comprendre les nouveaux modèles économiques présents dans les jeux, il faut d'abord s'intéresser à son histoire et à son évolution.
2 : L'histoire du jeu vidéo
2.1 : Les prémices
En 1958, dans un laboratoire de recherche atomique, William Higinbotham, physicien ayant travaillé sur les circuits des premières bombes atomiques, souhaitait développer un simple passe-temps afin de faire passer les journées d'exposition ouvertes au public plus rapidement.
Il imagine alors une simulation de tennis à partir d'un oscilloscope qui ne servait qu'à calculer les trajectoires de missiles. En quelques heures, William Higinbotham installe les bases du projet et confie le schéma technique à l'ingénieur Robert V. Dvorak qui construira l'appareil en question.
Trois semaines plus tard, le premier jeu vidéo au monde prenait forme, sous le nom de Computer Tennis qui deviendra par la suite le plus connu Tennis for Two.
L'écran de l'oscilloscope affiche un terrain de façon à représenter un court vu de côté, avec une ligne horizontale pour le sol, une petite ligne verticale pour le filet, un point lumineux et une traine pour la balle et sa trajectoire
Ce qui peut être considéré comme la première borne d'arcade au monde rencontra un bon succès au sein même du laboratoire et auprès du public.
Cependant, après une exposition en 1959, l'appareil sera démantelé et rangé dans un entrepôt.
William Higinbotham expliqua par la suite qu'il n'avait pas eu l'intention de breveter sa machine et qu'il n'utilisait que des technologies déjà existantes. Il préférait même que l'on se souvienne de lui non pas comme le grand père des jeux vidéo mais comme un leader de l'action contre la prolifération nucléaire.
C'est dans les années 1980 que Tennis for Two va refaire surface, lorsque qu'Higinbotham se retrouva à la barre des témoins lors d'un procès sur la "paternité du concept de jeux vidéo", permettant par ailleurs au grand public et à la presse spécialisée d'en découvrir plus sur le premier jeu de l'histoire et son fonctionnement.
C'est en 1972 et en 1978 que deux des jeux vidéo les plus connus seront proposés au public. Il s'agit de Pong et de Space-Invaders.
Pong sera le premier jeu vidéo tout public et devient un des premiers jeux jouables dans des bars ou des cafés. Le jeu inclut un score et demande une véritable dextérité.
Space-Invaders quant à lui s'inspire grandement des films "La Guerre des Mondes" et "Star Wars". Le jeu va alors connaître une telle admiration qu'il provoquera au Japon l'épuisement du stock national de pièces de 100 yens.
En 1987, Nintendo va exporter sa console Famicon qui rencontre déjà un grand succès au Japon, à tel point qu'un foyer sur trois est équipé de cette console [2].
En quelques années, Nintendo parvient à relancer le marché en déclin des consoles de jeux et reste seul à la tête de ce marché, Sega et Nec étant en train de finaliser leurs futures consoles.
Et c'est en 1989, après avoir conquis le marché des consoles de salons, que Nintendo sort une console qui va révolutionner le marché du jeu vidéo : la Game-Boy. Cette console portable, première du genre explose les compteurs de vente, si bien qu'elle et la Game-Boy Color se vendent a un total de 120 millions d'exemplaires en l'espace de 9 ans selon le site VGChartz, spécialiste de la compilation de ventes de jeux vidéo.
2.2 : L'évolution
La période 1990-1995 aura été l'une des périodes où le monde du jeu vidéo sera le plus créatif. Beaucoup de nouveaux genres de jeux sont créés comme les jeux de combats, de tir, de stratégie, d'horreur, de rôle etc. développant les catalogues des éditeurs de jeux-vidéo.
Enfin, c'est en 1995 que Sony amène avec ses consoles de salon la mécanique de la 3D au sein des jeux, ce qui lui permet de toucher un public adulte plus large.
De nos jours, les consoles de jeux vidéo sont en plein essor technique et technologique, nous donnant des qualités de plus en plus hallucinantes, que ce soit en termes de gameplay, en termes techniques et technologiques ou tout simplement en termes de graphismes.
Evolution du jeu Tomb Raider entre son premier et son dernier opus Tomb-Raider
Ainsi, le jeu vidéo exploite toutes les ressources nécessaires à son évolution et "[…] intègre immédiatement la technologie parce qu'elle fait partie de son ADN […]". [3]
Parmi les derniers exemples d'utilisation de technologies, nous avons Hellblade : Senua's Sacrifice et God of War. Il s'agit d'un jeu où le personnage principal a été filmé en "motion capture", c'est-à-dire via un dispositif qui reprend les mouvements et expression d'un acteur, tout au long de la réalisation du jeu.
Ce jeu, comme beaucoup de jeux récents, exploite les trois points cités ci-dessus. L'aspect technologique de la réalisation de films tels qu'Avatar, Avengers etc. est de plus en plus utilisé afin de donner un visage humain beaucoup plus détaillé.
En parallèle des évolutions techniques, les jeux vidéo ont aussi évolué, tout comme leurs modèles économiques, se développant et se différenciant des modèles existants.
Sommaire de la partie suivante
3 : L'évolution des modèles économiques
3.1 : Les bornes d'arcade
3.2 : L'arrivée d'internet
3.3 : Les jeux boîtiers à abonnements
3.4 : Les microtransactions ou "l'item-selling"
3.5 : Les free-to-play
3.6 : Les pay-to-win
3.7 : Les DLC
3.8 : Les jeux épisodiques
3.9 : Les abonnements en bouquet
3.10 : Les jeux à la demande
3.11 : Le Cloud Gaming
3.12 : Le jeu solo
Cet article est extrait du mémoire de recherche de Matthieu Ivorra : "Le modèle économique des loot boxes et des microtransactions"
Professeur référent : Mme Valérie Léger