Cloud Gaming : Des perspectives de développement importantes
Synthèse de l'étude Scholè Marketing
Article précédent : Cloud Gaming : Un marché en démarrage
La naissance du mid-core gaming
La dernière décennie a vu une extension considérable de la pratique du jeu vidéo à toutes les catégories de la population : fin 2012, près de 2/3 des français s'adonnent au jeu vidéo. On distingue couramment deux grandes catégories de joueurs :
- Le joueur " Casual " : joueur occasionnel, il joue à des jeux simples et peu chers, principalement sur les ordinateurs, les smartphones, les tablettes ou les réseaux sociaux, avec des sessions de jeu de courte durée. Peu investi, il apprécie le jeu vidéo comme un passe-temps. Il représente l'essentiel de la population des joueurs.
- Le joueur " Hardcore " : joueur intensif, il joue à des jeux évolués sur les consoles de dernière génération ou sur PC. Le jeu vidéo est pour lui une passion à laquelle il consacre beaucoup de temps (plus d'une heure par jour) et un budget important (console de salon/PC et jeux).
Entre ces deux profils antagonistes émerge une catégorie intermédiaire de joueurs dénommés " mid-core ". Elle se compose, d'une part, d'anciens joueurs hardcore entrés dans la vie active et n'ayant plus beaucoup de temps à consacrer au jeu et, d'autre part, de joueurs initiés au jeu vidéo par le jeu occasionnel et cherchant une expérience de jeu plus immersive. Un profil qui ne souhaite pas consacrer un budget et un temps importants au jeu vidéo et qui sera séduit par des jeux premium sans toutefois exiger les productions les plus récentes. Il est difficile d'évaluer l'importance actuelle du segment mid-core : aux États-Unis, il représenterait environ 5% de la population. Le profil du joueur mid-core correspond parfaitement à l'offre des services de Cloud Gaming : des jeux vidéo premium datés accessibles sans console de jeu pour un prix modique.
Figure 1 : Segmentation Hardcore / Mid-core / Casual de la population des joueurs américains
Source : Scholè Marketing, d'après Park Associates, Newzoo et Entertainment Software Association
S'il est aujourd'hui marginal dans la population, le segment du joueur mid-core devrait progresser dans les années à venir en étant alimenté par une fraction des joueurs occasionnels souhaitant monter en gamme. Le segment du jeu occasionnel est lui-même appelé à croître sous l'effet d'un mouvement de ludification(1) qui verra la pratique du jeu vidéo s'étendre à l'ensemble de la population. De sorte qu'à terme, le segment mid-core pourrait atteindre environ 15% de la population, soit 47 M de joueurs aux États-Unis, 110 M en Europe et 10 M en France.
Malgré ce potentiel important, le Cloud Gaming se trouve face à des contraintes techniques qui devraient fortement limiter son essor à court terme.
Des contraintes techniques qui circonscrivent le marché
Le Cloud Gaming constitue un véritable challenge technologique car il implique un enchaînement d'actions complexes qui doivent être effectuées en temps réel :
- Envoi de l'information de jeu au serveur
- Calcul de l'image du jeu en haute définition
- Encodage (compression) de l'image au format adéquat
- Diffusion de la vidéo en streaming
- Décompression du flux vidéo sur le terminal de l'utilisateur et affichage de l'image.
Figure 2 : Décomposition de la latence dans un dispositif de Cloud Gaming
Source : Orange Labs, 2012
Outre des serveurs ultra performants, le Cloud Gaming nécessite chez l'utilisateur une connexion internet à haut débit pour afficher des images en haute définition (5 à 10 Mbps). Le débit doit être parfaitement stable car contrairement au streaming de contenus vidéo, le Cloud Gaming ne permet d'utiliser de système de mémoire tampon(2) (ou buffer). Les actions du joueur doivent être immédiatement retranscrites à l'image. Autre paramètre critique, la latence, c'est-à-dire le délai entre le moment où le joueur agit sur le contrôleur de jeu et celui où l'image correspondante est affichée à l'écran, doit être très faible pour conserver une bonne expérience de jeu.
S'il est possible à un fournisseur d'accès d'assurer haut débit et faible latence, le challenge technologique consiste à assurer leur parfaite stabilité dans le temps. Car la moindre variation de l'un de ces paramètres (baisse du débit, augmentation de la latence) entraine immanquablement une dégradation de l'expérience de jeu. On considère qu'au-dessus de 150 ms, la latence devient perceptible par l'utilisateur. Or sur la plupart des services de Cloud Gaming, le temps nécessaire pour transmettre les informations de jeu au serveur, calculer le rendu des images et les transmettre sur l'écran du joueur peut dépasser 200 ms. Les premiers retours d'expérience des utilisateurs de services de Cloud Gaming sont donc contrastés, nombre d'entre eux témoignant d'une qualité de service très variable.
En raison de ces contraintes, et des usages multiples supportés par les offres multiplay (internet, téléphonie, IPTV, services audiovisuels à la demande, etc.) un service de Cloud Gaming ne sera accessible qu'aux foyers disposant d'une très bonne connexion internet. Dans une version basique, pour accéder à des jeux simples, il nécessitera un débit de 5 à 7 Mbps, ce qui limite déjà son essor potentiel. Aux États-Unis, en 2013, seuls un tiers des foyers disposent d'une connexion dont le débit descendant est supérieur à 6 Mbps.
Répartition des connexions Internet selon le débit aux Etats-Unis
Figure 3 : Répartition des connexions internet selon le débit aux États-Unis
Source : Scholè Marketing, d'après Federal Communications Commission
Pour fonctionner de manière optimale avec des jeux premium, le Cloud Gaming nécessitera une connexion à très haut débit, c'est-à-dire un débit supérieur à 30 Mbps que seule la fibre optique peut fournir.
Un potentiel de 70 M de foyers en 2013, 167 M en 2018
La forte compatibilité du Cloud Gaming avec l'IPTV et les contraintes techniques existantes en matière de débit circonscrivent le marché potentiel du jeu à la demande aux foyers recevant une offre d'IPTV et disposant d'une connexion à très haut débit. A fin 2011, le nombre d'abonnés au très haut débit atteignait environ 220 M, dont 77 M étaient raccordés en fibre optique(3). Fin 2012, 69,4 M de foyers recevaient une offre d'IPTV dans le monde. On ignore cependant le nombre de foyers dotés des deux types d'offres.
Figure 4 : Potentiel du Cloud Gaming
Source : Scholè Marketing
A court terme, le marché potentiel du Cloud Gaming peut être restreint aux foyers abonnés à une offre d'IPTV, soit 70 M de foyers dans le monde. En ne considérant que le segment des joueurs mid-core, c'est-à-dire 15% de la population, et sur la base d'un abonnement mensuel de 5$, le Cloud Gaming représenterait un marché potentiel 630 M$. Un montant dérisoire en comparaison du marché du jeu vidéo (69 Mds€ en 2013). A moyen terme, le développement de la fibre optique (FTTH/B) et la modernisation des réseaux câblés feront progresser le marché de l'IPTV. A l'horizon 2018, 167 M de foyers devraient être dotés de ce mode d'accès. Sur les mêmes base (5$/mois pour 15% des foyers), le marché potentiel du Cloud Gaming atteindrait alors 1,5 Mds$.
Evolution du nombre de foyers abonnés à une offre d'IPTV dans le monde
Figure 5 : Évolution du nombre de foyers abonnés à une offre d'IPTV dans le monde
Source : Scholè Marketing, d'après Digital TV Research
La modernisation des réseaux câblés constitue toutefois un facteur de basculement qui peut grandement accroître le marché potentiel du Cloud Gaming. L'adoption de la norme DOCSIS 3, qui permet d'atteindre un débit descendant de 100 Mbps(4), permettra aux câblo-opérateurs de proposer des services de Cloud Gaming performants. Sur les mêmes bases de calcul, les 490 M de foyers recevant la télévision par câble dans le monde représentent un marché potentiel de 4,4 Mds$ pour le Cloud Gaming.
Alors qu'il est encore marginal, le marché du Cloud Gaming peut tabler sur des perspectives significatives. Dès lors, annonce-t-il un changement de paradigme industriel sur le marché du jeu vidéo ?
A suivre...