La réforme du droit d'auteur
Co-écrit par Sébastien Lachaussée et Elisa Martin Winkel
Depuis le début du printemps, la communication du Parlement européen remet sur le devant de la scène le projet de réforme du droit d'auteur au niveau communautaire. En effet un rapport sur la mise en œuvre de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information a été confié à la députée européenne issue du Parti Pirate, Julia Reda. Le projet a été déposé en janvier et ses nombreux amendements sont actuellement débattus en commission avant le vote en assemblée plénière début juillet pour son éventuelle adoption.
Nous nous proposons ici de revenir sur les principales propositions de ce rapport qui approche des facettes diverses du droit d'auteurs et suscite de nombreuses réactions positives comme négatives.
L'uniformisation des droits nationaux
Pour le président de la Commission Jean-Claude Juncker, il apparaît aujourd'hui nécessaire de "briser les barrières nationales" en matière de réglementation du droits d'auteur et de créer des règles uniques dans l'ensemble de l'Union européenne. En effet il est craint que la multiplicité des dispositions en matière de droits d'auteur freine le développement de grands services européens qui pourraient concurrencer les services américains de type Netflix. Il est également avancé une incertitude des diffuseurs, des usagers et des auteurs quant aux droits dont ils disposent. Dans le même sens, Julia Reda pour présenter et défendre son rapport a déclaré " Nous devons établir un système de droits d'auteur commun, qui protège les droits fondamentaux et facilite l'offre de services en ligne innovants dans l'Union tout entière ".
En ce sens le rapport suggère notamment :
Une harmonisation de la durée de protection du droit d'auteur
En effet, la multiplicité des législations au sein de l'Union européenne apporte une difficulté conséquente lorsqu'il s'agit de déterminer si une œuvre est ou non dans le domaine public. Aussi, une partie de la recherche en droits d'auteur soulignent régulièrement cette problématique à l'instar de Christina Angelopoulos qui avançait dans un article que " Des durées de protection radicalement différentes peuvent s'attacher au […] même produit informationnel selon la juridiction. Le résultat est un cadre législatif qui rend difficile le calcul des acquittements transfrontaliers de droits, entravant ainsi les activités des utilisateurs finaux et des organismes patrimoniaux "
Si sur le principe il est difficile de ne pas s'accorder sur la nécessité d'une lecture plus simple de la durée des droits d'auteur, il n'est pas sur que tous s'entendent sur la même durée.
Aussi, le rapport préconise-t-il une durée de cinquante ans à compter de la mort de l'auteur, ce qui pour la durée des droits d'auteur en France représenterait une diminution significative de la durée de protection.
Des exceptions au service de la création
Le rapport Reda annonce clairement l'idée qu'il n'y a que lorsque les mêmes exceptions s'appliquent dans chaque pays qu'elles peuvent bénéficier au public dans des contextes transfrontaliers. Il s'agit d'établir un cadre commun pour l'exploitation des œuvres protégées et pour le développement de la création.
Au titre des exceptions que le rapport souhaiterait développer on peut noter la volonté de reconnaitre la transformation créative comme les lipdub, supercuts, captation live de jeux vidéos et dans le même sens la reconnaissance du droit de citation en matière audiovisuelle, notamment pour la création de GIF, de mashup ou de remix. Par ailleurs la député européenne souligne l'importance d'étendre le droit de parodie en avançant que " les exceptions de parodie, caricature et pastiche doivent s'appliquer indépendamment des usages dérivés de l'œuvre " et ne pas être limitée au cadre strict de l'humour.
Une partie des auteurs s'est montrée enthousiaste quant à ce projet et Lionel Maurel, membre du Conseil d'Orientation Stratégique de la Quadrature du Net marquait son soutien au rapport en annonçant que de telles propositions " peuvent avoir un impact positif sur la création elle-même, mais aussi sur la recherche, l'enseignement et l'accès à la culture. Elles doivent en ce sens être soutenues comme la première étape d'une réforme positive du droit d'auteur européen ! " Cependant si certains peuvent voir ici des possibilités étendues de création pour les auteurs, d'autres s'inquiètent. On peut noter par exemple la vive opposition de la SCAM qui avançait sur son site " Affaiblir le droit d'auteur en multipliant les exceptions, c'est affaiblir la situation des auteurs, donc celle de la création. "
Une extension du domaine public
Le rapport préconise de manière très claire que " les œuvres créées par des employés gouvernementaux, de l'administration publique et des tribunaux dans le cadre de leurs fonctions officielles entrent dans le domaine public ". Il s'agit là de renforcer la possibilité d'accès à l'information publique.
Le rapport souhaite par ailleurs éclaircir le sort des numérisations d'œuvres relevant du domaine public. En effet il a pu être noté dans le rapport " Patrimoine culturel : la numérisation, l'accessibilité en ligne et la conservation numérique" que le " Le statut juridique de certaines reproductions numériques d'œuvres du domaine […] public manque de clarté". Aussi est-il préconisé dans le rapport de " préciser que la numérisation n'entraine pas une nouvelle protection au titre du droit d'auteur pour les œuvres précédemment de bien commun. "
Le rapport souhaite également généraliser le droit de panorama, c'est à dire le droit de représenter un espace public, y compris incluant une œuvre protégée et ce dans le but " d'améliorer la sécurité juridique des activités quotidiennes " au sein de l'Union européenne. Cette proposition est notamment soutenue par les photographes et par les services d'informations. Ainsi Federico Leva, représentant de Wikimédia Italie est allé trouver les députés européens pour leur demander de soutenir cette reforme.
Cependant sur ce point, une certaine opposition est présente, notamment en France. Marie-Anne Ferry-Fall, directrice générale de la société des droits d'auteur dans le domaine des arts graphiques et plastiques soulignait que cette disposition permettait " d'exclure du droit d'auteur toutes les oeuvres présentes en permanence dans l'espace public, c'est-à-dire les bâtiments, mais aussi les sculptures - chacun connaît les oeuvres de Miro, de Calder, de Buren, d'Arman ou de César qui ornent nos places -, les fresques, les oeuvres de street art " et que cela viendrait occulter la possibilité pour les auteurs de percevoir des droits en cas d'utilisation commercial de clichés de leurs œuvres sur une carte postale ou dans une campagne publicitaire.
Plus loin, et de manière tout aussi contestée le rapport prône la déterritorialisation du droit d'auteurs au sein de l'Union européenne.
La territorialité discutée des droits d'auteur
Le rapport avance que la solution la plus simple à la fragmentation du droit d'auteur et des droits voisins dans l'Union européenne serait l'introduction d'un titre Européen unique, sur les modèles du brevet européen et de la marque communautaire.
L'idée serait ici de pallier le " geoblocking " c'est à dire le fait, dans un pays, de ne pas avoir accès au catalogue de vidéo à la demande diffusés depuis un autre pays et de ne pas pouvoir accéder au contenu de ses propres abonnements depuis un autre pays.
Cette proposition rencontre un certain succès mais a aussi de nombreux détracteurs. Elle est notamment particulièrement mal reçue en France. Le cinéaste Lucas Belvaux expliquait ainsi que," L'idée de mettre fin à la territorialité des droits est extrêmement grave. On serait obligés de vendre nos droits européens à un seul opérateur, qui s'occuperait de la gestion des droits d'un film. On ne pourrait plus diversifier nos interlocuteurs pour l'exploitation de nos films en salle et à la télévision. " Le réalisateur signale notamment le problème que cela peut créer pour le financement des films et pour la diversité des productions.
En effet le principe de territorialité va avec une logique économique dans la vente de programmes. Les producteurs peuvent vendre auprès de différents diffuseurs un même programme ou film afin de d'en tirer des recettes mais surtout afin de les financer.
Pour un producteur ne rencontrer qu'un interlocuteur suscite de gros problèmes de financement, et vient fragiliser la diversité de la production.
Par ailleurs, en France, La commission de la culture, de l'éducation et de la communication après sa rencontre avec Julia Reda début avril annonçait ainsi dans un communiqué " qu'il convient d'agir prudemment en matière de droits d'auteur, sous peine de mettre à mal la rémunération des créateurs, de conduire à une crise du financement des industries culturelles et de limiter dangereusement la diversité culturelle. " Aussi, préconise-t-elle de se concentrer en priorité sur la directive relative au commerce électronique, afin de responsabiliser enfin les hébergeurs de contenus, principaux bénéficiaires de la consommation numérique des œuvres.
Il faut noter que les opposants à cette mesure ont en partie obtenu gain de cause : en effet, la Commission européenne a dû renoncer à l'idée d'une déterritorialisation complète du droit d'auteur en Europe. Aussi la Commission préfère développer la " portabilité des contenus légalement acquis " c'est à dire la possibilité pour des abonnés à une chaîne ou à un service de visionner des contenus à l'étranger. Cette victoire est sujette à caution, l'exercice du droit de portabilité semblant pouvoir nuire au principe de territorialité du droit d'auteur et sa mise en place et son application risquant encore de susciter de vives réactions.
Enfin il convient de nous pencher sur des propositions qui rencontrent beaucoup moins d'obstacles, principalement relatives à l'ouverture du marché numérique aux produits culturels et l'inadéquation de certains mécanismes du droit d'auteur en la matière
L'adaptation nécessaire du droit d'auteur au marché du numérique
Le droit d'auteur est ancien et l'évolution de technologies notamment s'agissant de la diffusion d'œuvres l'a sur certains points dépassé, soulevant des inadéquations entre la réalité du marché des produits culturels et les textes de lois. Aussi le rapport Reda s'attache-t-il à moderniser le droit d'auteur afin de faciliter l'exploitation et la transmission des œuvres sur le marché numérique.
Le rapport suggère dans un premier temps que les exceptions prévues en faveur de l'éducation intègrent l'utilisation de formats numériques par les professeurs et les étudiants. En effet actuellement ces exceptions ne concernent que les copies physiques ce qui suppose des charges inutiles pour les professeurs et les étudiants qui doivent imprimer ou photocopier les documents.
Dans un même élan le rapport préconise d'ouvrir aux bibliothèques la possibilité de pratiquer le e-lending, c'est à dire de prêter des livres au format numérique. .En effet à l'heure actuelle les bibliothèques sont dépendantes des services de prêt électronique proposés par les éditeurs lesquels sont parfois limités. Le Bureau européen des bibliothèques et des associations d'information et de documentation a sur ce point affirmé son " soutien au rapport Reda ", en insistant cependant sur la nécessité d'une " rémunération juste et équilibrée des auteurs " suite au prêt de leurs livres au format numérique.
Par ailleurs le rapport propose sans surprise et sans réelle contestations d'autoriser deux pratiques issues directement de l'évolution des technologies : l'usage de liens hypertextes et le Text and data mining. (TDM)
Le rapport Reda souhaite faciliter l'accès aux contenus en ligne et " Préciser que le référencement des œuvres au moyen d'un lien hypertexte n'est pas soumis à des droits exclusifs. " On note que des oppositions existent sur ce point, la Cour de justice de l'Union européenne dans l'arrêt Svensson ayant elle-même estimé que la " fourniture de liens cliquables vers des œuvres protégées doit être qualifié de " mise à disposition " et par conséquent d' " acte de communication ", lequel suppose l'application des droits d'auteur.
S'agissant du TDM, il s'agit d'un procédé d'extraction et de comparaison de données, principalement utilisé dans la recherche. Le rapport Reda vient ici reprendre la position du groupe d'experts sur les TDM qui avançait qu' " Il devrait être envisagé une exception spécifique et obligatoire pour libérer la fouille de données et de texte à des fins scientifiques du champ d'application du droit d'auteur et du droit des bases de données européens " .
Aux vues des différentes propositions du rapport Reda, on peut constater que beaucoup d'entre elles viennent répondre aux besoins nouveaux du secteur culturel et notamment à l'évolution technologique, une autre partie s'attachant à simplifier la lecture du droit d'auteur au niveau européen. Ces deux points constituent une évolution logique du droit d'auteur dans la société et s'inscrivent parfaitement dans l'agenda européen qui tend vers une plus grande uniformisation législative. Néanmoins il est important de souligner que certains points du rapport, et notamment celui de la territorialisation des droits d'auteur, peuvent venir affaiblir le secteur culturel dans sa diversité mais aussi dans la rémunération de ses acteurs.
Il s'agira donc pour les députés européens de trouver le juste équilibre entre la nécessaire évolution du droit d'auteur et la protection de la diversité culturelle dans l'Union européenne.
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