Le régime juridique du jeu vidéo en droit d'auteur
Quelques commentaires sur le rapport parlementaire rendu par M. le député Patrice Martin-Lalande le 30 novembre 2011
C'est avec un plaisir certain que l'auteur de ces lignes a pris connaissance du rapport tant attendu, sur le régime juridique du jeu vidéo en droit d'auteur. M. le député n'hésite pas en effet à encourager les studios à recourir à des juristes, soulignant que " Si tous les studios de développement employaient au moins un juriste, celui-ci pourrait conclure in concreto tous les contrats nécessaires à la production d'un jeu vidéo dans le respect des règles du Code de la propriété intellectuelle ". Dont acte. Messieurs (Mesdames) les studios, ne craignez pas, s'il vous plaît, de faire appel à des juristes pour éviter de marquer n'importe quoi dans vos contrats.
Las, tout juriste que je suis, je dois avouer bien humblement qu'en dépit de mes connaissances en propriété intellectuelle, les difficultés juridiques évoquées par le rapport paraissent, en l'état actuel du droit, quasi insurmontables.
Le rapport rappelle en effet, fort justement, que chaque salarié d'un studio peut potentiellement être considéré comme un auteur. Que tout auteur a droit à une rémunération proportionnelle aux recettes. Que chaque salarié doit donc expressément céder ses droits à son employeur et peut prétendre bénéficier d'une telle rémunération. Que cette rémunération est également due lorsque le jeu fait l'objet de créations dérivées (adaptations, suites, etc.). Que chaque auteur peut légitimement exiger que son nom soit mentionné dans le jeu, au titre du respect de son droit moral, que…
Oui mais voilà, la pratique semble s'être dispensée du respect des dispositions du Code de la propriété intellectuelle. Si de plus en plus de studios incluent des clauses de cession de droits dans leurs contrats de travail, c'est une partie forfaitaire et non proportionnelle qui est réputée constituer la compensation de la cession. De plus, à l'exception des grosses productions, les contrats de développement reposent sur l'octroi d'un minimum garanti, qui bien souvent constitue une rémunération forfaitaire qui ne dit pas son nom. Bien sûr, le droit moral est totalement ignoré et les partenaires internationaux des studios français exigent la garantie que les salariés ont bien cédé l'intégralité de leurs droits pour le jeu, ses adaptations, suites, produits dérivés, etc. sans la moindre rémunération supplémentaire.
Les contrats entre partenaires franco français ne sont d'ailleurs pas en reste. Si les contrats internationaux sont remplis de clauses contraires aux dispositions impératives du droit français, les contrats franco français sont eux la plupart du temps…totalement vides. La pratique est en effet de rédiger des avant-contrats de quelques pages, destinés à résumer les principales dispositions du contrat à venir. Bien souvent cependant, les partenaires se contentent de ce près-contrat et renoncent à rédiger un contrat en bonne et due forme. Cette pratique est d'autant plus problématique qu'en droit d'auteur, tout droit cédé doit être mentionné par écrit et décrit dans ses moindres détails.
En résumé, il existe un écart considérable entre le droit applicable et la pratique contractuelle et, n'en déplaise, à l'auteur du rapport parlementaire, la présence d'un juriste au sein des studios ne permettrait pas à elle seule, de combler cet écart.
Après avoir rappelé le droit applicable, le rapport s'interroge sur le meilleur moyen d'améliorer la sécurité juridique des transactions liées au jeu vidéo. Deux pistes sont évoquées : la création d'un statut juridique propre au jeu vidéo, ou l'amélioration du cadre juridique existant.
C'est vers cette dernière option que tend le rapport.
Le rapport appelle ainsi, parmi sept recommandations, à instaurer un dialogue sous l'égide du CNC, entre le secteur du jeu vidéo et les sociétés d'auteurs. Ce dialogue doit passer par la nomination d'un médiateur et déboucher idéalement sur des propositions avant juin 2012.
Ces propositions devraient concerner les aménagements à introduire dans la règlementation applicable au droit d'auteur, afin de :
- identifier les auteurs parmi les créateurs du jeu vidéo;
- préciser la titularité des droits d'auteurs au bénéfice du studio;
- aménager la rémunération proportionnelle, qui pourrait par exemple être conçue plus comme une rémunération tenant compte des résultats - soit du jeu vidéo lui-même, soit de l'entreprise - et qui peut prendre des formes variables (bonus, intéressement, participation au capital, etc.).
Le rapport reconnaît ainsi des droits aux auteurs de jeux vidéo, mais c'est à la filière de définir ce qu'est un " auteur "et la nature des droits qui lui reviennent.
La méthode a le mérite de privilégier la concertation et d'inviter les acteurs de la filière à exprimer leurs besoins.
On ne peut complètement cependant être satisfait par cette proposition.
D'abord, elle revient à créer un régime dérogatoire au droit d'auteur, réservé au seul jeu vidéo. On se demandera vainement pourquoi les autres œuvres multimédia (sites Internet, applications mobiles, etc.) ne pourraient pas bénéficier de ce même régime ? De plus, est-ce aller dans le sens d'une simplification du droit que de créer un ixième régime dérogatoire, dont les conditions d'application donneront invariablement lieu à d'innombrables questions d'interprétation ?
Surtout, est-ce que le régime " aménagé " (sic) de droit d'auteur sera plus adapté à la pratique et conforme aux usages contractuels ?
Peut être, et ce n'est qu'une piste de réflexion, il aurait tout simplement mieux valu procéder à une légère modification de l'article L.113-9 du Code de la propriété intellectuelle relatif aux logiciels, en ajoutant :
" Sauf dispositions statutaires ou stipulations contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation AINSI QUE SUR LES JEUX VIDEO créés par un ou plusieurs employés dans l'exercice de leurs fonctions ou d'après les instructions de leur employeur sont dévolus à l'employeur qui est seul habilité à les exercer ".
Certes, les jeux vidéo ne se résument pas à un logiciel et certes, assimiler le régime juridique des jeux à celui des logiciels ne résoudrait pas tous les problèmes. Cela permettrait cependant de simplifier considérablement le régime de leur cession, ce qui est loin d'être négligeable.
Espérons que les acteurs de la filière y penseront lors de leurs discussions…
Henri Leben
Avocat Associé
Colbert-Paris
henri.leben@hla-avocats.com