Mesures de protection : Nintendo contre PC Box
Article par Antoine CHERON - Avocat au Barreau de Paris et de Bruxelles
Par un arrêt du 23 janvier 2014, la Cour de justice de l'Union européenne a précisé le champ des mesures techniques de protection dans un litige opposant Nintendo à PC Box.
En l'espèce, les entreprises Nintendo ont adopté des mesures techniques comprenant un système de reconnaissance installé dans les consoles " Wii " et " DS " ainsi qu'un code crypté du support physique sur lequel sont enregistrés les jeux vidéo protégés par le droit d'auteur.
Pour que les jeux puissent être lancés sur les consoles Nintendo, il était donc nécessaire d'obtenir un code. Ces mesures avaient pour objectif d'empêcher l'utilisation de copies illégales de jeux vidéo mais aussi, de manière plus générale, de tous contenus multimédias ne provenant pas de Nintendo.
Les entreprises Nintendo ont constaté que des appareils de PC Box permettaient de contourner les mesures techniques de protection de sorte que des jeux vidéo réalisés par des créateurs indépendants pouvaient être installés sur les consoles " Wii " et " DS ".
PC Box a alors été assigné en justice par les sociétés Nintendo au motif que les appareils qu'elle commercialisait avaient pour finalité principale de contourner les mesures techniques de protection mises en place dans les consoles " Wii " et " DS ".
Le Tribunal de Milan, saisi de cette affaire, a décidé de surseoir à statuer et posé la question préjudicielle suivante à la Cour de Justice de l'Union Européenne : la mise en place de mesures techniques de protection par Nintendo sur ses consoles excède-t-elle ce qui est prévu à l'article 6 de la directive 2001/29 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information en ce sens que ces mesures excluaient toute interopérabilité avec des appareils et produits complémentaires ne provenant pas de l'entreprise fabriquant le système lui-même ?
La Cour de justice commence par rappeler que " la protection des jeux vidéo ne peut être réduite à celle prévue pour les programmes d'ordinateur. En effet, bien que les jeux vidéo tirent leur fonctionnalité d'un programme d'ordinateur, celui-ci démarrerait et progresserait suivant un parcours narratif prédéterminé par les auteurs desdits jeux de manière à faire apparaître un ensemble d'images et de sons doté d'une certaine autonomie conceptuelle. "
La Cour se situe ainsi dans le sillage de l'arrêt CRYO du 25 juin 2009 rendu par la Cour de cassation, laquelle a érigé, concernant le jeu vidéo : "qu'un jeu vidéo est une oeuvre complexe qui ne saurait être réduite à sa seule dimension logicielle, quelle que soit l'importance de celle-ci, de sorte que chacune de ses composantes est soumise au régime qui lui est applicable en fonction de sa nature ; qu'ayant constaté que les compositions musicales litigieuses incorporées dans les jeux vidéo de la société Cryo émanaient d'adhérents de la Sacem, la cour d'appel a jugé à bon droit qu'une telle incorporation était soumise au droit de reproduction mécanique dont l'exercice et la gestion sont confiés à la Sesam et a, par voie de conséquence, justement admis la créance de cette dernière au passif de la liquidation judiciaire de la société Cryo ; que le moyen n'est pas fondé. "
Après avoir rappelé que le jeu vidéo était éligible à la protection par le droit d'auteur, la Cour de justice répond à la question initialement posée en deux temps.
Dans un premier temps, elle rappelle la jurisprudence Infopaq International du 16 juillet 2009 considérant que toutes " les parties d'une œuvre sont protégées par le droit d'auteur dès lors qu'elles participent, comme telles, à l'originalité de l'œuvre entière " et les critères posés par l'article 6 de la directive sur les " mesures techniques efficaces ", pour en conclure qu'il y a lieu de " considérer que les mesures techniques telles que celles en cause dans l'affaire au principal, qui sont, pour une partie, incorporées dans les supports physiques des jeux vidéo et, pour une autre partie, dans les consoles et qui nécessitent une interaction entre elles, relèvent de la notion de " mesures techniques efficaces " au sens de l'article 6, paragraphe 3, de la directive 2001/29 si leur objectif est d'empêcher ou de limiter les actes portant atteinte aux droits du titulaire protégés par celle-ci. "
Dans un second temps, elle examine selon quels critères il y a lieu d'apprécier l'étendue de la protection juridique contre le contournement des mesures techniques efficaces au sens de l'article 6 de la directive 2001/29.
La Cour rappelle ainsi que la protection juridique contre les actes non autorisés par le titulaire des droits d'auteur doit respecter, conformément à l'article 6, paragraphe 2, de la directive 2001/29, le principe de proportionnalité et ne doit pas interdire les dispositifs ou les activités qui ont, sur le plan commercial, un but ou une utilisation autre que de faciliter la réalisation de tels actes au moyen du contournement de la protection technique ; et que " ladite protection juridique est accordée uniquement à l'égard des mesures techniques qui poursuivent l'objectif d'empêcher ou d'éliminer, en ce qui concerne les œuvres, les actes non autorisés par le titulaire d'un droit d'auteur visés au point 25 du présent arrêt. Lesdites mesures doivent être appropriées à la réalisation de cet objectif et ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire à cette fin. "
Elle en conclut qu'" Il incombe à la juridiction nationale de vérifier si d'autres mesures ou des mesures non installées sur les consoles pourraient causer moins d'interférences avec les activités des tiers ou de limitations de ces activités, tout en apportant une protection comparable pour les droits du titulaire. À cette fin, il est pertinent de tenir compte, notamment, des coûts relatifs aux différents types de mesures techniques, des aspects techniques et pratiques de leur mise en œuvre ainsi que de la comparaison de l'efficacité de ces différents types de mesures techniques en ce qui concerne la protection des droits du titulaire, cette efficacité ne devant pas, toutefois, être absolue. Il appartient également à ladite juridiction d'examiner le but des dispositifs, des produits ou des composants susceptibles de contourner lesdites mesures techniques. À cet égard, la preuve de l'usage que les tiers font effectivement de ceux-ci va être, en fonction des circonstances en cause, particulièrement pertinente. La juridiction nationale peut, notamment, examiner la fréquence avec laquelle ces dispositifs, produits ou composants sont effectivement utilisés en méconnaissance du droit d'auteur ainsi que la fréquence avec laquelle ils sont utilisés à des fins qui ne violent pas ledit droit. "
Il sera ainsi intéressant de voir le raisonnement que tiendra le Tribunal de Milan à l'aune de cette décision de la Cour de justice.
En effet, si l'installation de mesures techniques peut être fondée pour empêcher des atteintes aux droits du titulaire de droits de propriété intellectuelle ; de tels systèmes pourraient en revanche s'avérer au contraire injustifiés s'ils sont disproportionnés et portent atteinte de manière excessive à la concurrence sur le marché en ce sens qu'ils excluent toute interopérabilité avec des appareils.