Réforme du dispositif Jeune Entreprise Innovante, une balle perdue en plein coeur de l'innovation française
Le dispositif de la Jeune Entreprise Innovante (JEI), créé en France en 2004, est un mécanisme incitatif qui permet actuellement à plus de 2 000 TPE et PME, évoluant pour une part importante d'entre elles dans le numérique, de financer leurs innovations et d'être compétitives. Le dispositif JEI présente deux avantages considérables : d'une part la simplicité de sa mise en oeuvre (allégements à la source), et d'autre part sa capacité à accompagner l'innovation sous de multiples formes, contrairement à d'autres dispositifs plus orientés R&D, comme le Crédit impôt recherche (CIR).
Dans le cadre du projet de Loi de finances 2011, et en vertu de la chasse aux niches fiscales et sociales, le Gouvernement a souhaité raboter ce dispositif en en supprimant les principaux effets, afin de réaliser une faible économie budgétaire de 57 M€, une goutte d'eau dans l'ensemble des mesures annoncées. Véritable coup de frein porté à l'innovation des pépites françaises, cette réforme est entrée directement en vigueur au 1er janvier dernier, sans aucune période de transition pour les entreprises bénéficiaires, créant plus de fragilité dans une période de crise sans précédent. Car l'impact de cette réforme est important. Une récente étude de l'AFDEL et du SNJV a d'ailleurs évalué à 66 236€ le coût moyen de ce rabot pour chaque Jeune Entreprise Innovante.
Face à une mobilisation massive des entreprises concernées, le Président de la République s'était engagé au printemps dernier à revenir sur cette réforme inique, la qualifiant au passage de "balle perdue". Engagement depuis repris par Eric Besson, Ministre en charge de l'économie numérique.
Les promesses étaient donc là ! Mais 6 mois plus tard, force est de constater, malgré le soutien ferme de certains parlementaires de la majorité au moment de l'examen du projet de loi de finances rectificative en juin dernier, que le retrait promis de la réforme n'est plus qu'un simple souvenir et que l'horizon s'assombrit considérablement pour les 2 000 entreprises innovantes françaises concernées et leurs 20 000 emplois, notamment depuis le récent retrait des amendements JEI déposés par la députée Laure de la Raudière dans le cadre de l'examen à l'Assemblée Nationale du projet de Loi de finance 2012. Tout ceci était sans compter l'opiniâtreté de certains sénateurs comme Philippe Adnot, Nicole Bricq ou Marie-Christine Blandin. Une lueur d'espoir en provenance du Sénat qui a largement adopté le rétablissement du statut de la Jeune Entreprise Innovante dans sa version antérieure à 2011. Ce vote est une main tendue par les sénateurs aux députés pour que ceux-ci reviennent sur la réforme de 2011. A l'Assemblée nationale, la ministre du Budget Madame Valérie Pécresse a appelé de ses voeux à la création d'un Groupe de travail dédié sur la JEI pour éviter une insécurité juridique en revenant sur le dispositif de 2010. Les entreprises devront donc attendre le retour du texte à l'Assemblée nationale à la fin du mois de Novembre pour savoir si la JEI, dans sa version de 2011, sera entérinée ou bien si le Gouvernement fera un geste salutaire et responsable en faveur des pépites de la nation.
L'Etat a aujourd'hui décidé de sacrifier son économie innovante sur l'autel de la réduction du déficit public et ce, alors que dans la période de crise que nous vivons, les seules entreprises qui créent de l'emploi et de la croissance sont évidemment celles qui innovent. Ces sociétés souffrent donc aujourd'hui encore plus qu'hier d'une importante disparité de concurrence avec leurs compétiteurs situés aux quatre coins du globe. En effet, le dispositif JEI avait cet avantage de réduire pour partie les disparités de régimes dues aux environnements fiscaux, sociaux et juridiques beaucoup plus attractifs dans les pays étrangers. On notera à ce titre la chute vertigineuse de notre pays à la 21ème position mondiale dans le classement BSA sur la compétitivité dans les TIC paru le 27 septembre dernier.
Le Gouvernement donne donc les signaux d'une économie au rabais alors que son potentiel de réindustrialisation, de croissance et de création d'emplois grâce au numérique en général et au statut JEI en particulier est sans nulle autre pareil. L'absence de considération des pouvoirs publics pour ces jeunes entreprises innovantes n'est pas acceptable. Le temps est venu pour l'Exécutif de respecter ses engagements et pour l'Assemblée nationale de prendre ses responsabilités. En revenant sur la réforme annoncée de la fiscalité des parcs de loisirs, dont l'économie annoncée était deux fois plus importante que celle de la réforme du dispositif JEI, le Gouvernement a montré qu'il lui est possible de faire des choix.
Gouverner c'est choisir. Le constat que nous faisons donc aujourd'hui est terriblement amer. La balle perdue frappe en plein coeur l'économie innovante de notre pays. Nul doute que la rigueur est un mal nécessaire, mais la croissance est un bien indispensable car pendant que nos entreprises subissent les effets désastreux de cette réforme, leurs concurrents internationaux innovent, créent de la valeur et des emplois et prennent progressivement les places de leaders sur leurs marchés. La vitesse d'évolution des marchés ne peut se satisfaire d'un tel anachronisme politique.
Dans le contexte du projet de Loi de finances pour 2012, le Gouvernement doit donc impérativement afficher un soutien sans faille au numérique et à l'innovation, à l'heure où notre pays affronte des enjeux sociétaux déterminants en matière de préservation des équilibres budgétaires, de maîtrise des dépenses de santé, d'amélioration du système éducatif, de maîtrise et d'efficacité énergétique ou encore de respect de l'environnement, domaines dans lesquels le numérique apporte des réponses innovantes.
A défaut, notre pays aura laissé passé le train de l'innovation et contraint notre économie numérique à survivre en subissant les contraintes des entreprises situées dans les pays qui font, eux, confiance au numérique et qui accompagnent, sans restriction, toute forme d'innovation.
Patrick Bertrand, Président de l'Association Française des Editeurs de Logiciels (AFDEL)
Nicolas Gaume, Président du Syndicat National du Jeu Vidéo (SNJV)
Guy Mamou-Mani, Président de Syntec Numérique