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Le design des jeux à contenu épisodique (2/3)

La narration épisodique - Les principes de base à connaitre - par Pascal Luban


Sommaire

  1. Le design des jeux à contenu épisodique
  2. La narration épisodique - Les principes de base à connaitre
  3. Le gameplay pour les jeux épisodiques : Les questions à se poser, les erreurs à éviter

La narration épisodique reprend les grands principes de la narration traditionnelle mais y rajoute ses spécificités. La narration épisodique a gagné ses lettres de noblesse à la télévision avec des séries comme Lost ou Prison Break. Ces séries ont repris certains des mécanismes des soap-operas et les ont appliqué à des thèmes orientés action et visant une audience plus jeune. Aujourd'hui, c'est dans les séries épisodiques que l'on trouve les meilleurs scénarios et ces séries sont extrêmement populaires chez les jeunes ce qui me fait dire qu'un jeu vidéo peut largement tirer profit d'une bonne narration.

En ce qui concerne les jeux vidéos, on peut donc s'inspirer avec confiance des recettes qui ont prouvé leur efficacité à la télévision mais avant de détailler les spécificités de la narration épisodique, commençons par LE secret qui rend ces séries aussi efficaces: Ce sont les spectateurs qui orientent les principales décisions d'écriture. Les scénaristes suivent les réactions de leur audience et adaptent le scénario en conséquence: ainsi un personnage secondaire particulièrement populaire deviendra un personnage principal, un évènement qui passionne l'audience prendra plus de poids et impliquera plus de personnages, etc.

Passons maintenant aux autres spécificités de la narration épisodique.

Le choix du thème

LostIl est crucial. Un bon thème doit répondre aux exigences suivantes:

  • Il doit aborder un sujet très fort et unique pour que les spectateurs s'y intéressent. Pensez à Prison Break où un homme se fait délibérément emprisonné pour aider son frère, injustement accusé de meurtre, à s'évader. Le thème est unique et très fort sur le plan émotionnel.
  • Il doit laisser supposer qu'il y aura un dénouement heureux qui mérite d'attendre la fin de la série. Ce dénouement constitue l'arche narrative principale de la série. Une série sans fin comme Le Fugitif finit par lasser les spectateurs qui perdent l'espoir d'en voir le bout.
  • Il doit être suffisamment riche pour que les scénaristes puissent développer de nombreuses arches narratives secondaires. Les premières saisons de Lost sont passionnantes mais l'univers de l'île finit par s'appauvrir du point de vue du scénario. C'est probablement pour cette raison que la quasi-totalité des personnages principaux réussissent à revenir aux Etats-Unis à la fin de la quatrième saison. Prison Break a failli être victime d'un problème similaire en raison de la pauvreté de l'univers carcéral.
  • Il peut aborder un thème extraordinaire mais ses personnages principaux doivent être des gens normaux ou presque. En effet, il faut que les spectateurs puissent s'identifier à ses principaux protagonistes. Une série où les personnages principaux seraient des super-héros n'aurait pas d'intérêt.

La structure narrative et l'écriture des épisodes

Le squelette de la narration épisodique ce sont ses arches narratives. On en compte 3 ou 4, rarement plus.

Il y a d'abord l'arche principale. Cette dernière reprend le thème de la série. Ainsi, dans Lost, l'arche principale est la quête des rescapés pour quitter l'île. Une arche principale peut être vague comme celle de The Walking Deads : La survie dans un monde infesté de morts-vivants.

Il y a ensuite les arches secondaires. Ce sont des histoires dans l'histoire, des quêtes plus ou moins longues qui vont concerner un nombre restreint de protagonistes mais qui sont obligatoirement reliées à l'arche principale. Par exemple, dans Lost, John Locke trouve l'entrée verrouillée d'un mystérieux bunker et va s'appliquer à y pénétrer pendant plusieurs épisodes. Son ouverture sera d'ailleurs la conclusion de la première saison.

Ces arches secondaires sont capitales. Elles permettent de mettre en avant des personnages différents et d'éviter la lassitude du suivi d'un seul héros. Leur alternance permet de rendre chaque épisode très dynamique. Enfin, elles permettent de générer des cliffhangers, ces scènes-clé que l'on retrouve à la fin de chaque épisode. Enfin, les arches secondaires peuvent être plus ou moins longues mais doivent obligatoirement se terminer au cours de la saison en cours pour éviter que les spectateurs en perdent le fil.

Le premier épisode présente les personnages principaux et l'arche principale, le thème de la série. Ce dernier doit impliquer des contraintes très lourdes pour les personnages principaux qui doivent apparaitre peu adaptés pour y faire face. Le thème doit être présenté par de l'action et non des explications verbales. Une fois que le thème et les personnages principaux ont été introduits, on peut commencer à introduire les arches secondaires.

Prison BreakEn début de série, l'arche principale est omniprésente. Puis, elle doit s'estomper au profit des arches secondaires. C'est la raison pour laquelle le thème de la série doit être suffisamment riche pour permettre l'épanouissement de nombreuses arches secondaires. C'est ce qui explique la qualité narrative des épisodes de Walking Deads et les problèmes narratifs rencontrés par Prison Break, une série trop centrée sur l'arche principale.

Comment écrire les arches secondaires ? Il faut s'appuyer sur les thèmes classiques de la dramaturgie: L'amour, la vengeance, le dépassement de soi, la lâcheté, la jalousie, le sacrifice, etc. Au moins un des personnages principaux doit être impliqué dans chaque arche secondaire.

La multiplication des arches secondaires permet de construire des épisodes très dynamiques puisque l'on peut suivre plusieurs arches en même temps. Le passage de l'une à l'autre entretient le suspens et l'envie d'en savoir plus. C'est un des secrets de la forte rétention des séries épisodiques.

Chaque épisode doit se conclure par un cliffhanger. En voici quelques " classiques ": Un personnage se retrouve dans une situation de vie ou de mort, la découverte qu'untel n'est pas ce qu'il semble être, une révélation familiale. Un bon cliffhanger doit perturber les spectateurs, voire les irriter. Faut-il tuer un personnage principal ? C'est très efficace pour relancer l'intérêt d'une série mais potentiellement dangereux lorsque les spectateurs y sont trop attachés.

Enfin, voici quelques erreurs à éviter:

  • Les arches secondaires ne doivent jamais prendre le pas sur l'arche principale
  • Evitez de conclure l'arche principale, sauf au terme de la série
  • Ne sortez jamais du thème.

Les personnages

HeroesLe dernier secret de l'efficacité des séries épisodiques est le lien qui se crée entre les spectateurs et les personnages principaux. En effet, les spectateurs s'y attachent et finissent par suivre la série, non plus pour l'action ou son arche principale, mais parce qu'ils aient de l'empathie avec certains des personnages. Qu'est ce qui contribue à contruire un tel attachement ?

  • La plupart d'entre eux sont des personnes normales, voire banales, auxquelles quelque chose d'extraordinaire est arrivé. Il est ainsi beaucoup plus facile de s'identifier à eux plutôt qu'à un héros sans faille. Pensez aux personnages de Heroes, une série qui porte bien son nom. Nous y trouvons Hiro, un employé de bureau rondouillard, Niki, la mère célibataire, Matt, le policier en pleine crise conjugale.
  • Chaque série épisodique propose une large galerie de personnages principaux et secondaires, souvent très typés. Il est alors facile d'y trouver LE personnage qui nous ressemble ou du moins, qui ressemble à ce que nous aimerions être. La multiplication des arches permet aussi de transformer en personnage principal des personnages secondaires et donc de les mettre en valeur.
  • La longueur de la narration, qui s'étale sur des dizaines d'épisodes, est un facteur décisif. Les spectateurs ont ainsi le temps de découvrir un personnage et de s'y attacher. Mais surtout, elle permet de donner de l'épaisseur aux personnages, de leur construire une vraie personnalité tout en nuance, comme dans la vraie vie.

Lors de leurs premières apparitions, les personnages, principaux et secondaires, sont souvent des stéréotypes. Cela permet aux spectateurs de se faire immédiatement un avis sur eux. Mais au fur et à mesure que ces personnages prennent du poids dans la série, leurs personnalités s'affinent. Un bon exemple est Sawyer, le " bad boy " de Lost, dont la personnalité tourmentée finit par émerger pour en faire un des personnages principaux les plus attachants de la série.

Enfin, la répartition entre personnages principaux et secondaires n'est pas figée. Un personnage secondaire, voire un personnage " invité ", peut devenir un personnage principal s'il bénéficie de l'intérêt des spectateurs. C'est le cas de Desmond ou de Richard dans Lost. A l'inverse, un personnage principal peut disparaitre à l'issu d'une saison à l'instar de Charlie, la rock star déchue de Lost.

Quelle narration pour les jeux épisodiques ?

Si on retrouve certaines de ces règles dans les jeux épisodiques, force est de constater qu'on est encore très loin de la sophistication narrative des séries télévisées: Absence d'arche narrative secondaire, faiblesse de l'intérêt porté aux personnages secondaires, personnage principal peu intéressant ou totalement sous-exploité, brièveté des " saisons ", etc.

On ne retrouve pas ces faiblesses dans tous les jeux épisodiques et certains vont clairement dans la bonne direction; je pense notamment à Life Is Strange qui introduit un vrai personnage secondaire en la personne de Chloé, l'amie du personnage principal ou à The Wolf Among Us dont le personnage principal est particulièrement bien travaillé.

Il est vrai que les budgets et les temps de développement des jeux vidéos ne permettent pas (encore) d'offrir le volume de contenu qui permettrait d'offrir la même qualité narrative, et surtout le même pouvoir de rétention, que les séries épisodiques. Mais malgrè ces limitations, un bon scénariste peut définir, sur la base d'un thème intéressant, quelques personnages forts et surtout écrire un scenario multi-arches et plein de rebondissements. La clé du succès est de savoir comment définir des personnages, avoir l'idée de situations dramatiques er de les combiner dans une narration ou personnages et drames vont s'enrichir mutuellement. C'est un métier, celui de scénariste.

Dans la dernière partie de ma publication je traiterai du game design pour les jeux épisodiques, en particulier les bonnes questions à se poser et les erreurs à éviter.

Pascal LubanPascal Luban


Sommaire

  1. Le design des jeux à contenu épisodique
  2. La narration épisodique - Les principes de base à connaitre
  3. Le gameplay pour les jeux épisodiques : Les questions à se poser, les erreurs à éviter

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Publié le 14 septembre 2015 par Emmanuel Forsans
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