Le design des jeux à contenu épisodique (3/3)
Le gameplay pour les jeux épisodiques : Les questions à se poser, les erreurs à éviter - par Pascal Luban
Sommaire
- Le design des jeux à contenu épisodique
- La narration épisodique - Les principes de base à connaitre
- Le gameplay pour les jeux épisodiques : Les questions à se poser, les erreurs à éviter
Deux familles de gameplay sont envisageables:
- Les mécanismes de type " aventure "
- Les mécanismes de jeux d'action
Nous les retrouvons à différent degré dans tous les jeux épisodiques disponibles aujourd'hui mais leurs déclinaisons laissent parfois à désirer.
Commençons par les mécanismes de jeux d'aventure.
Les mécanismes de type " aventure "
Ce sont les mécanismes qui viennent en premier à l'esprit d'un game designer s'il doit s'attaquer à un jeu à contenu épisodique. Pour quelle raison ? Parce que nous avons tendance à les associer avec des jeux où la narration occupe une place centrale. Ce réflexe n'est pourtant pas justifié; Il existe de nombreux exemples de jeux à forte dimension narrative qui utilisent avec succès des mécanismes de gameplay d'action: Fahrenheit, Republique, Silent Hill, etc.
Passons en revue ces mécanismes d'aventure et évaluons leur potentiel pour les jeux à contenu épisodique. J'en compte trois:
- Les mécanismes d'exploration
- Les mécanismes de dialogue
- Les mécanismes de puzzle
Les mécanismes d'exploration
Ils consistent à demander au joueur d'explorer l'intégralité d'un lieu pour y trouver des objets, indices ou documents avec lesquels il peut ou doit intéragir. Il s'agit de mécanismes que l'on trouve fréquemment alors qu'ils sont rarement intéressants; cliquer sur tous les centimètres carrés de son écran n'est guère gratifiant pour un joueur. Ces mécanismes sont donc à utiliser à petite dose.
Les mécanismes de dialogue
Le joueur doit sélectionner les questions qu'il pose à son interlocuteur et, éventuellement, choisir ses propres répliques. Ces mécanismes peuvent donner lieu à un vrai gameplay s'ils répondent aux critères suivants: 1) Le résultat de la séquence de dialogue doit dépendre des choix effectués par le joueur, autrement dit, si le joueur fait les mauvais choix, il peut échouer. 2) Le joueur comprend les implications de ses choix; il peut donc construire une stratégie de dialogue en conséquence. 3) Le joueur sait quel objectif il doit atteindre par le biais du dialogue avec son interlocuteur (le séduire, le faire collaborer, etc.). 4) Enfin, il doit avoir assez de temps pour faire ses choix, sinon nous perdons la dimension tactique de ce type d'épreuve.
De tels gameplays sont très difficiles à mettre au point. Les seuls exemples convaincants que je connaisse sont ceux du jeu 24 Hours - The Game dans lequel Jack Bauer doit adapter ses répliques en fonction de la personnalité de son interlocuteur lors des gameplays d'interrogatoire. De mémoire, on en trouve aussi quelques exemples dans des épisodes de la célèbre série Broken Sword.
L'immense majorité des jeux d'aventure offrant un mécanisme de dialogue se contentent d'énumérer une liste de sujet de conversation que le joueur peut aborder dans l'ordre qu'il souhaite. Autant dire qu'il n' y a aucun gameplay.
Il existe cependant une variante intéressante: Les choix de répliques qui auront un impact important sur l'attitude de vos interlocuteurs ultérieurement dans le jeu. Mais on ne peut pas construire un gameplay sur un mécanisme aussi simple. Les mécanismes de dialogue, malgré leur potentiel prometteur, ne peuvent donc pas constituer une part importante du gameplay d'un jeu d'aventure ou d'un jeu à contenu épisodique.
Les mécanismes de puzzle
Il en existe de nombreuses variantes mais dans un soucis de simplification, je les ramènerais à deux catégories: Les puzzles casse-tête et les puzzles de contexte. Les premiers sont le plus souvent des casse-têtes en 2D comme ceux qui ont fait le succès des jeux de la série Professeur Layton. Très appréciés par les amateurs de jeux d'aventure, ils offrent un vrai gameplay, une grande diversité de contenu mais sont rarement intégrés dans leur contexte. Les seconds se déroulent dans l'environnement du joueur. Ils demandent à ce dernier d'effectuer certaines actions dans un certain ordre. Ainsi dans un des épisodes de la série Walking Deads, le joueur doit inspecter une pièce située au fond d'une grange sans que le propriétaire de cette dernière s'en rende compte. Le puzzle consiste à découvrir comment créer une diversion qui sera assez longue pour attirer le propriétaire loin de la grange. Ce type de puzzle s'intègre parfaitement dans la narration mais sont plus difficiles à écrire et sont plus gourmands en assets (cinématiques, animations spécifiques, lignes de dialogues enregistrés).
Alors, quels mécanismes de jeux d'aventure faut-il privilégier pour les jeux à contenu épisodique ? Mes recommandations vont vers les puzzles de contexte et les mécanismes de dialogue lorsque ces derniers offrent un vrai gameplay. Les mécanismes d'exploration doivent être utilisés à petite dose car ils offrent un gameplay trop pauvre.
Les mécanismes de jeux d'action
De nombreux jeux à contenu épisodique comportent des mécanismes de jeux d'action: De l'infiltration, du tir et surtout des QTE. Commençons par analyser ces derniers.
Les QTE sont présents dans de nombreux jeux à contenu épisodique. Ils permettent de proposer du gameplay d'action à des joueurs qui n'en ont pas l'habitude et surtout d'offrir des scènes d'action très scénarisées, donc spectaculaires. Les QTE sont pourtant des mécanismes de jeu controversés. S'ils sont trop faciles, ils n'ont que peu d'intérêt et s'ils sont trop difficiles, ils deviennent des points de blocage pour beaucoup de joueurs. L'abus ou la mauvaise utilisation de ces derniers risque de détourner beaucoup de joueurs des jeux à contenu épisodiques. A mon sens les QTE ne devraient être utilisés que dans deux cas de figure:
- Pour des jeux visant un public " casual " ou ne jouant qu'à des jeux d'aventure, les QTE doivent être très simples. Ils peuvent ainsi apporter aux joueurs la gratification de vivre une séquence d'action sans courir le risque de se retrouver bloqué dans le jeu. Les scènes d'action deviennent, dans ce contexte, des récompenses pour les joueurs qui progressent dans l'aventure et un moyen de casser la monotonie des gameplay d'aventure.
- Pour des jeux ciblant les gamers, les QTE doivent être intégrés à du gameplay traditionnel: Tir, combat, conduite, déplacement, etc. God of War ou le Tomb Raider de 2013 offrent de très bons exemples d'intégration de QTE dans des séquences de jeu.
Les mécanismes d'infiltration se retrouvent dans plusieurs belles réalisations (Walking Deads, Republique) car ils sont bien adaptés aux jeux offrant une expérience de type aventure. Les séquences d'infiltration peuvent en effet être traitées comme des puzzles et le rythme de leur gameplay s'apparente à celui des jeux d'aventure.
Le problème c'est que les mécanismes d'infiltration sont complexes à concevoir, régler et déboguer. En effet, lorsque le joueur est confronté à une situation de jeu qui nécessite l'évitement d'un adversaire, il va appliquer des stratégies qu'il utiliserait dans la vraie vie. Le game designer va donc devoir prévoir de nombreuses règles de comportement (pour l'adversaire à éviter) et anticiper toutes les actions que le joueur pourrait entreprendre. Il faut également prévoir des situations intermédiaires où le joueur se fait détecter mais dispose d'options pour se cacher, éliminer son adversaire, etc.
On peut concevoir des séquences d'infiltration plus simples mais ces dernières deviennent alors très répétitives et conduisent donc à un gameplay appauvri. On ne peut donc pas faire reposer le gameplay d'un jeu sur des séquences d'infiltration simples. Ces dernières ne peuvent venir qu'en complément d'autres mécanismes de jeu.
Enfin, parlons brièvement des autres mécanismes d'action comme le tir, la conduite, le combat ou le déplacement. Ils sont très peu présents dans les jeux à contenu épisodique car leurs designers ont privilégié les mécanismes d'aventure. Et pourtant, rien ne rend les mécanismes d'action incompatibles avec les jeux épisodiques.
Quels mécanismes d'action peut-on retrouver dans les jeux à contenu épisodique ? Ma réponse est simple : tous.
Il faut prendre le problème à l'envers. Il faut d'abord choisir un type de gameplay d'action - combat, course, sports, stratégie, action-aventure, etc. - et se demander commet y intégrer une dimension narrative épisodique. C'est une erreur de s'imaginer que la narration épisodique est réservée aux jeux d'aventure.
Et si on veut viser un public féru de jeux d'aventure ou des joueurs de type " casual ", je recommande de limiter les mécanismes d'aventure à des QTEs faciles et quelques séquences d'infiltration simples.
Conclusions
Je crois au potentiel des jeux à contenu épisodique car ils permettent d'enrichir nos jeux avec une narration de qualité. La très forte attirance des jeunes générations pour les séries épisodiques me conduit à penser qu'ils l'apprécieront. Et n'oublions pas qu'il existe aujourd'hui des joueurs de tout âge. Or, des joueurs plus " mûrs " sont sensibles aux qualités d'une vraie narration.
Mais en guise de conclusion, je m'arrêterai sur quatre points:
- Les choix dominants en matière de gameplay - des mécanismes de jeu d'aventure et des QTE - ne me paraissent pas suffisamment porteur d'avenir pour les jeux épisodiques. En effet, je pense que les succès engrangés par ces derniers sont liés à l'originalité de l'expérience de jeu qu'ils proposent aux joueurs, pas à leur gameplay. C'est une tendance dangereuse qui risque de " tuer dans l'oeuf " le potentiel de ces jeux. N'oublions pas que l'on joue à un jeu vidéo parce qu'il offre un gameplay, pas une histoire.
- Je ne vois aucune raison qui cantonnerait les jeux épisodiques aux jeux d'aventure. En effet, ce qui différencie les jeux épisodiques des autres c'est l'écriture de leur histoire, la narration, pas un type de gameplay donné. S'imaginer que seuls les jeux d'aventure peuvent supporter une narration de qualité est une erreur.
- Les jeux épisodiques ne doivent pas être vu comme un genre de jeu mais plutôt comme un modèle économique et une technique de design pouvant s'appliquer à de nombreux genres de jeu. Le modèle économique repose sur 1) des prix très bas pour chaque épisode et 2) la possibilité de créer une offre d'épisodes sans fin. Le design doit tenir compte des spécificités de la narration épisodique et doit faire appel à de vrais scénaristes, pas des game designers reconvertis dans le scénario; être scénariste, c'est un vrai métier. Le défi est alors de faire travailler ensemble le game designer et le scénariste.
- Un bon jeu épisodique requiert la fusion de deux savoir-faire, voire de deux cultures: Ceux d'un game designer et d'un scénariste. Les personnes qui combinent les deux talents sont très rares. Le plus souvent, un studio s'attaquant à un jeu épisodique est amené à faire travailler ensemble un game designer et un scénariste. C'est ma recommandation car ces deux métiers demandent des compétences vraiment spécifiques; on ne s'improvise pas scénariste. Or, je sais par expérience que le travail de collaboration ne marche pas toujours. C'est un point important à garder en tête lorsqu'on monte son équipe.
Remerciements
Tous mes remerciements au scénariste Joël Meziane pour son aide dans la préparation de cet article.
Pascal Luban