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Le level design des jeux en monde ouvert - Part 1/5

Par Pascal Luban - Game designer & creative director, freelance


Le level design des jeux en monde ouvert - Part 1/5Les jeux en mondes ouverts : Ils attirent les joueurs avec leur promesse de liberté et d'immersion et suscitent l'intérêt des éditeurs en raison de leurs perspectives commerciales.

Ces jeux se distinguent une caractéristique très particulière : Leur level design est plus important que leur système de jeu. L'immense majorité des jeux en monde ouvert offrent des mécaniques de jeu très classiques et ce ne sont pas elles qui séduisent, c'est le monde ouvert lui-même, donc le level design.

Dans la plupart des jeux, l'équipe de design commence par définir le core gameplay, puis s'attaque au level design ; ce dernier servant de terrain d'application au système de jeu. Mais dans un jeu en monde ouvert, c'est le contraire qui est souhaitable : Définir en premier lieu les grandes caractéristiques du monde ouvert, puis sélectionner les mécanismes de jeu les mieux adaptés.

Le level design est une de mes spécialités et j'ai eu la chance de travailler sur plusieurs jeux en monde ouvert : The Black Death, Cabela's African Adventures, Duck Dynasty, etc. L'objet de cette série de publication est de donner de bonnes bases à un studio qui s'engagerait dans un tel développement mais aussi à un éditeur qui serait amené à faire des choix éditoriaux en la matière.

Le "pourquoi" doit précéder le "comment"

Lorsqu'on attaque les réflexions sur le design d'un jeu en monde ouvert, il y a une question fondamentale qu'on doit se poser : Pourquoi ? Pourquoi veut-on un monde ouvert ?

Cette question mérite un minimum de réflexion car la réponse va avoir un impact majeur sur le contenu du monde ouvert et donc, ses mécanismes de jeu.

Schématiquement, il existe trois stratégies d'utilisation d'un level design en monde ouvert.

Stratégie 1, la conquête du temps de jeu

Cette stratégie est à l'oeuvre dans plusieurs franchises d'Ubisoft comme Far Cry, Ghost Recon ou The Division. Son objectif est d'offrir une énorme durée de vie au jeu. Il est atteint en multipliant les quêtes, en renouvelant le contenu du monde ouvert en permanence et en supportant des mécanismes de "farming". Pour rappel, le "farming" consiste, dans un jeu, à encourager les joueurs à collecter ou gagner un grand nombre de ressources pour qu'ils améliorent les attributs de leurs personnages, leurs équipements, etc.

Quels sont les bénéfices de cette stratégie ?

  • Plus les joueurs jouent longtemps à un jeu donné, plus on a de chance de leur vendre du contenu additionnel (DLC, éléments cosmétiques, etc.). Or ce dernier est devenu un complément significatif par rapport aux revenus générés par les ventes du jeu de base lui-même.
  • Un jeu qui offre une expérience de jeu "infinie" a beaucoup moins de chance d'alimenter le marché de l'occasion car les joueurs les gardent. C'est moins le cas avec un jeu qui offre une expérience de jeu linéaire et limitée, soit par son scénario, soit par le nombre de niveaux qu'il offre.
  • Lorsqu'un jeu est joué longtemps et que sa durée de vie est alimentée par du contenu additionnel, payant ou gratuit, il reste présent dans les radars des média et l'esprit des joueurs. Son éditeur peut ainsi entretenir sa marque et donc mieux valoriser sa propriété intellectuelle. Et lorsqu'il en publiera la suite, il disposera déjà d'une forte communauté.
  • Enfin, il est plus facile de vendre au prix fort un jeu qui offre une grande durée de vie, les acheteurs ayant le sentiment qu'ils en ont pour leur argent.

En revanche, le côté systémique des mécanismes de jeu peuvent rendre le monde ouvert répétitif et donc, peu crédible. De plus, il y est plus difficile d'y intégrer une trame narrative convaincante.

Je reviendrai plus longuement dans une chronique ultérieure sur les mécanismes de jeu et les bonnes pratiques en matière de level design pour les jeux en mondes ouverts cherchant à mettre en place une telle stratégie.

Stratégie 2, priorité à l'immersion

Red Dead Redemption 2 ou les premiers titres de la série Assassin's Creed sont de bons exemples de cette stratégie. Elle séduit les joueurs en les transportant dans un univers qui est très crédible et qui les intéresse. Le haut niveau de crédibilité est obtenu grâce au soucis du détail, aux références historiques et aux comportements des PNJs (personnages non-joueur) qui peuplent ces mondes. Enfin, c'est le choix du thème qui rend ces univers intéressants : La Florence de la Renaissance, l'Amérique de la fin du 19e siècle, etc.

Les atouts de cette stratégie sont les suivants :

  • Son premier point fort est l'attractivité du thème choisi. Les joueurs intéressés par tel ou tel thème deviennent des acheteurs potentiels.
  • Un autre atout tient au fait que cette stratégie facilite la mise en place d'une narration de qualité. En effet, si l'univers du jeu est crédible, il est plus facile de construire des personnages et des scénarios qui le sont aussi, deux caractéristiques d'une narration de qualité. Or, cette dernière attire certains joueurs et a démontré qu'elle peut apporter une vraie valeur-ajoutée à beaucoup de jeux. J'en veux pour preuve l'excellent The Last Of Us qui combine à merveille gameplay efficace et narration de grande qualité.

Du côté des points faibles, on notera que le soucis du détail nécessaire à une immersion de qualité complexifie le développement, et donc le cout. De plus, le besoin de rendre crédible l'environnement du jeu a un impact sur la densité d'actions proposés au joueur mais aussi sur les évolutions des aptitudes, pouvoirs et équipements du personnage contrôlé par les joueurs. On court alors le risque d'affaiblir le gameplay.

Stratégie 3, la map est le défi

Cette stratégie est au coeur des jeux de survie tel The Long Dark, DayZ ou The Forest. Dans la plupart des jeux en monde ouvert, la map sert essentiellement à supporter les quêtes, à l'instar d'un écrin qui met en valeur un bijou. Hormis la récupération de ressources optionnelles et quelques embuscades, la map n'a pas de fonction gameplay.

Mais dans les jeux de survie, ce n'est pas le cas. C'est la connaissance du monde qui l'entoure qui permet aux joueurs de survivre, voire de prospérer. Le défi des joueurs consiste donc, en partie, à savoir s'y déplacer et y trouver les ressources indispensable à leur survie. La map est donc un composant central dans le système de jeu, pas un simple décor destiné à faire le lien entre les quêtes ou les scènes d'action.

Cette stratégie offre plusieurs bénéfices :

  • Elle permet d'offrir un gameplay plus original et plus complexe que ceux que l'on rencontre dans d'autres jeux d'action. De plus, ce gameplay ne fait pas nécessairement la part belle aux combats et peut donc séduire les joueurs fatigués par ces derniers ou ceux qui privilégient les expériences de jeu en coop.
  • Les mécanismes des jeux de survie peuvent être complexes. Ils permettent donc d'offrir un positionnement du jeu plus hardcore. En effet, le gameplay de ce type de jeu nécessite la maîtrise de nombreux aspects du jeu : Compréhension de l'environnement, de l'usage des ressources que l'on trouve, des bonnes stratégies de survie et de développement. De plus, tout jeu de survie qui se respecte n'offre pas de sauvegarde. Quand son personnage meurt, on recommence depuis le début. Cette caractéristique, brutale, peut être assouplie mais reste au coeur de l'expérience de jeu.
  • Enfin, cette stratégie est compatible avec de nombreux modes de jeu : Solo, coop, affrontement. Les modes orientés coop sont particulièrement intéressants car ils séduisent une majorité de joueurs, de tout niveau.

Mais elle comporte aussi des faiblesses. Les mécanismes associés à ce genre sont complexes et peuvent rebuter les joueurs les moins aguerris. Ils ont aussi tendance à se répéter d'un jeu à l'autre, affaiblissant alors leur attractivité.

Quand vient l'heure du choix

Rares sont les jeux qui font le choix d'une stratégie unique. Ainsi, DayZ se concentre exclusivement sur la stratégie n°3 et The Witcher 3 développe la stratégie n°2 car c'est avant tout un jeu d'action-aventure qui repose sur une narration forte ; le monde ouvert est relativement peu exploité.

Mais beaucoup d'autres construisent leur expérience de jeu en combinant ces stratégies. Red Dead Redemption 2 mélange habilement les stratégies 1 et 2. The long Dark développe les stratégies 2 et 3 d'une manière originale : En offrant différents modes des jeu. Le mode Survie propose un vrai gameplay de … survie alors que le mode Wintermute est construit autour d'une histoire linéaire tout en offrant un gameplay de survie plus "abordable".

Mélanger ces trois stratégies à différent degré est donc un choix valable. Lors de la phase de conception d'un jeu en monde ouvert, l'erreur à ne pas commettre est d'additionner des fonctionnalités sans se poser la question de l'expérience de jeu que l'on veut créer. Connaître l'existence de ces trois stratégies permet donc de définir, de manière claire pour toute l'équipe, les piliers du jeu et de faire les bons choix en terme de fonctionnalité.

Dans le prochain épisode …

Maintenant que nous avons défini l'usage de notre monde ouvert, il faut définir comment nous allons le remplir pour atteindre cet objectif. Dans la seconde partie de cette chronique consacrée au level design des jeux en monde ouvert, j'aborderai un aspect essentiel de ces derniers, les mécanismes de progression du joueur.

Sommaire

  1. A quel(s) objectif(s) de design le monde ouvert doit-il répondre ?
  2. La progression du joueur
  3. Dresser les plans de la map
  4. La narration
  5. L'innovation

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Publié le 23 avril 2020 par Emmanuel Forsans
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